Critique et concepteur artistique passionné par les transversalités contemporaines, Philippe Franck est directeur de Transcultures, Centre des cultures numériques et sonores, qu’il a créé en 1996. Il est directeur artistique du festival des arts sonores City Sonic qu’il a initié, à Mons, en 2003 et des Transnumériques, biennale des cultures numériques en Wallonie-Bruxelles, qu’il a lancée avec Transcultures en 2005. Il est également responsable des musiques urbaines, des arts sonores et de la création interdisciplinaire au Centre de production et de diffusion transfrontalier Le Manège Mons. Il enseigne à l’ESA Saint-Luc et ENSA La Cambre (Bruxelles).
Que sont les arts sonores ? En quoi consistent-ils ?
Philippe Franck : Il me semblait important de rappeler dans la revue-programme réalisée pour Résonances que le terme « art sonore » regroupe un ensemble de pratiques à la croisée de certaines musiques contemporaines et électroniques (celles qui se sont intéressés plus particulièrement au son), des arts plastiques, de la création radiophonique, de la poésie (sonore)…qui ont en commun de travailler le son comme matériau premier en dehors des usages musicaux classiques. Même si on ne parle de « sound art » que depuis le début des années 80, ces oeuvres « audio autres » sont nourris par les grandes avant-gardes du XXème siècle. Citons parmi quelques grands pionniers qui ont œuvré pour élargir le vocabulaire musical, audio-plastique et littéraire : le futuriste italien Luigi Russolo et son manifeste L’art des bruits en 1913 , le compositeur/théoricien français Pierre Schaeffer et l’invention de la musique concrète en 1948, l’écrivain-performer français Bernard Heidsieck et la poésie-action « libérant les mots de la page » au début des années 50 ou encore le percussionniste-plasticien Max Neuhaus nord-américain et ses œuvres-invitations qui s’appuient sur « l’écoute active » en milieu urbain….
Si on croise ces différents champs en cherchant plus particulièrement dans les ruptures et les échappées, on a là toute une riche « histoire » de la création sonore, particulièrement arborescente à laquelle aujourd’hui il faut ajouter des formes et pratiques qui utilisent les technologies numériques, du web à l’interactivité et tous les nouveaux dispositifs et supports dont s’emparent volontiers les jeunes artistes qui sont de plus en plus attirés par le médium sonore. Le son dialogue également étroitement avec l’image.
Mon approche a été depuis le départ de l’aventure City Sonic et reste, avec Résonances, d’ouvrir les portes, sans esprit de chapelle, à ces croisements considérant le son comme véhicule d’un cinéma pour les oreilles mais aussi comme un phénomène physique (on l’oublie trop souvent) et sensoriel et donc susceptible de nous toucher en profondeur.
Quel est l’intérêt de développer un projet autour des arts sonores en Brabant wallon ?
Ph. F : Résonances est le fruit d’un partenariat particulièrement dynamique entre plusieurs opérateurs importants du Brabant wallon qui n’avait pas encore proposé une telle manifestation d’envergure autour des arts sonores lesquels font de plus en plus parler d’eux. Ces partenaires brabançons qui se sont montrés particulièrement ouvert, ont bien compris que le son peut faire trait d’union entre de nombreux créateurs, lieux, publics. C’est ce qui nous a permis de développer en 2003, à Mons, le festival des arts sonores City Sonic (sous forme d’un parcours d’installations sonores dans la ville complété par des performances, ateliers, rencontres). Cet évènement, aujourd’hui reconnu internationalement, a permis la diffusion de nombreuses œuvres produites à cette occasion en Fédération Wallonie-Bruxelles et à l’international.
Pourquoi fait-on cela dans une école d’arts plastiques ?
Ph. F. : Le son est en soit «plastique » ; il joue avec l’espace pour le métamorphoser. De plus, le champ des arts contemporains est sans doute celui qui intègre le plus volontiers dans les installations et les performances, une dimension audio forte et autre que celle intégrée d’ordinaire dans le musique. Pour revenir à ma sélection pour l’exposition Résonances dans l’espace de l’école, elle est composée très majoritairement de jeunes artistes qui sont des plasticiens ayant intégrés le son dans leurs oeuvres hybrides. Arnaud Eeckhout, Stéphane Kozik, Perrine Joveniaux, Vivian Barigand, Emmanuel Selva, Sébastien Herickx ont été formés à l’Ecole d’Art de MonsMauro Vitturini a aussi suivi une formation artistique à Rome avant d’intégrer le son dans son travail et Isa Belle a commencée ses premières performances à Nice où l’Ecole d’Art, la Villa Arson, est particulièrement ouverte au son).
Depuis plusieurs années, Transcultures travaille avec les écoles d’art de Wallonie-Bruxelles et de France, avec le programme « Emergences sonores et numériques » pour permettre à des étudiants de mieux connaître les arts sonores et les accompagner à l’année via des workshops dont le meilleur est montrée dans le festival City Sonic. Plusieurs artistes sélectionnés ici ont d’ailleurs emprunté cette « filière parallèle » et dans ce souci d’émulation, il nous paru important de proposer aussi – Arnaud Eeckhout, Emilien Baudelot et moi même – des workshops aux étudiants de l’Ecole d’Art de Braine l’Alleud (qui se sont montrés particulièrement intéressés par nos présentations) dont certains résultats pourraient être intégrés en périphérique de l’exposition. « Notre perception de l’espace dépend autant de ce que nous entendons que ce que nous voyons » disait Max Neuhaus, pionnier des arts sonores. Je pense que de plus en plus de personnes, peut être aussi à cause de la pollution sonore que nous subissons constamment souvent sans nous en rendre compte, ont pu faire ce constat et sont donc désireuses de mieux connaître cette dimension, bien plus large que ce à quoi beaucoup la réduisent d’ordinaire.
Comment envisagez-vous la collaboration avec le reste du territoire ?
Ph. F : D’emblée, nous avons envisagé cette manifestation comme un ensemble synergétique avec au centre, l’exposition dont nous sommes partis pour en proposant des compléments et extensions susceptibles de toucher différents publics dans l’ensemble du Brabant Wallon.
A l’Ecole d’Art de Braine L’Alleud mais aussi, en partie, à l’UCL, l’expo est balisé par un cycle de conférence sur la création audio interdisciplinaire avec des interventions de Bobvan (musicien et artiste multimédiatique), Colin Ponthot (plasticien sonore, membre du collectif Impala Utopia), Sébastien Biset (coordinateur du programme Archipel pour Pointculture mais aussi muscien) et moi même (pour une introduction plus historiques aux arts sonores).
A l’Académie de Musique de Braine l’Alleud, sont proposés des concerts de musique contemporaine ouverte avec des compositeurs belges importants et qui se rejoignent dans leur intérêt pour la recherche sonore : Jean-Paul Dessy (Musiques Nouvelles, avec l’ingénieur du son ici « électronicien », Jarek Frankowski), Jean-Luc Fafchamps (interprété par Stephane Ginsburg), Todor Todoroff, Leo Kupper (pionnier des musiques électroniques) mais aussi une soirée sur les micro-tonalités proposée par Jean-Paul Wittek, professeur à l’Académie de Braine l’Alleud (avec des œuvres de John Cage, Charles Ives, Ivan Wyschnegradsky et d’autres à découvrir).
A Louvain-la-Neuve, l’ouverture du parcours géolocatif de Julien Poidevin fait l’objet d’une soirée avec une carte blanche au label indépendant Transonic (initié par Transcultures) avec des sets électro-organico-poétiques de Paradise Now, Gauthier Keyaerts, Supernova, Ordinaire.
La dimension ludique est intégrée à des actions pédagogiques avec un jeu Sonic Quizz créé pour l’occasion par Arnaud Eeckhout et Emilien Baudelot associé à la Caravane média-son du Centre culturel de Braine-l’Alleud qui accueillira les publics scolaires ou encore la borne multimédia Archipel avec une approche pédagogique et thématique, sans oublier la performance foldingue de Max Vandervorst, docteur en en « patamusique » et en lutherie sauvage au Centre culturel de Rixensart.
Afin d’ouvrir au maximum la manifestation, l’ensemble des partenaires s’est associé pour concocter un week end « découverte » fin avril avec des performances (dont les massages sonores d’Isa Belle avec des bols chantants tibétains jouant avec le corps), des balades sonores de Gilles Malatray et le parcours sonore Murs-Murs à Genappe qui invitent à une « écoute active » de notre environnement immédiat.
Tous ces événements résonneront, de manière conviviale (une approche que nous avons toujours privilégié, comme nos partenaires et qui permet une meilleure sensibilisation à ces démarches et oeuvres certes aventureuses mais jamais fondamentalement « élitistes ») les uns avec les autres pour proposer plusieurs entrées à des publics différents susceptibles d’apprécier ces créations sonores et singulières.
Interview réalisée par Caroline Dunski en vu d’un article paru dans le mensuel Espace-vie n° 238 (février 2014)
Compositeur, violoncelliste, chef et directeur artistique de l’ensemble Musiques ...
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