Issu de la collaboration intuitive de deux artistes, Dimension N est avant tout un dialogue. Entre la musique et la visualisation numérique, entre le compositeur polonais Dariusz Makaruk et l’artiste numérique espagnole Alba G. Corral. Deux artistes complémentaires, dont la complicité fut immédiate et qui ont réussi d’emblée à séduire à la fois le public et les professionnels du jury de la biennale des Bains numériques, qui leur ont décernés le grand prix en juin 2016.
De leurs multiples croisements résulte des récits audacieux, poétiques qui ne cessent de se modifier et surprendre. En août, leur projet a été sélectionné pour obtenir la bourse de création et de résidence Pépinières européennes pour jeunes artistes chez Transcultures, leur permettant de développer tout son potentiel.
Tout juste revenant du 16ème Live Cinema Festival à Rome, ils seront présents pour l’ouverture de cette quatorzième édition de City Sonic, le 14 septembre à Mons, où ils nous entraîneront dans le flux flamboyant de leur Dimension N.
Interview croisée
Comment s’est faite votre rencontre ? Quel était votre projet initial et qu’attendiez-vous l’un de l’autre ?
Dariusz : Notre collaboration s’est faite en Pologne lors du festival PatchLAB en 2015 suite à la suggestion du programmateur de travailler ensemble. Nous n’avons aucune attente l’un de l’autre.
Alba : Nous avons immédiatement senti une accroche et nous étions très satisfaits de la performance que nous avons proposée.
Nous attendons de l’autre qu’il soit réceptif aux propositions artistiques faites afin de trouver des points de convergence entre le champ visuel et le champ musical.
Dariusz est un musicien qui aime l’aspect visuel de ce fait il y adapte son travail. Ce qui est également perçu et apprécié par le public.
Nous cherchons à créer une conversation audiovisuelle, avec ses pauses et ses moments forts.
Pouvez-vous expliquer le titre du projet, Dimension N ?
Dariusz Makaruk : Le nom a été utilisé pour la première performance, il s’inspire du concept d’infini et de multidimensionalisme.
Alba G. Corral : Dimension N provient d’un terme mathématique. Les nombres sont pour nous des outils ; c’est une référence aux propriétés métriques. Nous avons pensé que c’était une bonne métaphore pour notre projet, considérant que les dimensions dans l’espace numérique peuvent être modelées, observées depuis de multiples points de vue avec des équations qui essaient de relier le temps et l’espace. Tout cela correspond parfaitement au projet.
Vous n’avez eu que très peu d’occasions pour travailler ensemble avant la performance aux Bains Numériques. Comment procédiez-vous pour travailler à distance ?
D : Nous échangeons par internet sur les directions qu’on souhaite prendre puis nous partageons nos travaux, nos créations pour enfin les confronter et parvenir à une forme finale.
A : Nous échangeons beaucoup afin de trouver quel chemin donner à notre processus créatif. Nous travaillons chacun de notre côté à partir de projets artistiques individuels de l’autre et lorsque nous nous retrouvons, nous partageons nos idées. Nous ne répétons pas de manière traditionnelle. Nous fonctionnons plutôt avec nos tripes. Toute proportion gardée, nous sommes plus comme des musiciens de jazz.
Grâce au programme des jeunes pépinières européennes, vous allez être en résidence 3 mois chez Transcultures. Avez-vous déjà des idées concernant l’évolution de Dimension N ? Que souhaitez-vous développer à Mons ?
D : Nous avons beaucoup d’idées que nous allons essayer de réaliser. Nous souhaiterions expérimenter une forme plus précise, plus singulière de performance et améliorer nos techniques d’interactivité ce qui nous mènera certainement vers d’autres pistes. Nous aimerions également interagir avec des participants locaux et des publics, l’échange est toujours le meilleur moyen pour nous d’évoluer.
A : Nous souhaitons approfondir le côté narratif par la réalisation d’une performance plus compact, nous voulons également explorer de nouvelles pistes de synchronisation ou de désynchronisation audiovisuelle. Nous souhaitons faire ensemble une session Jam, réduire les handicapes techniques et travailleur autour de la scénographie. Ces résidences sont vitales pour ce genre de projets car parfois vous n’avez ni le l’endroit ni le temps pour travailler et se concentrer sur le projet.
En parlant de l’aspect narratif, lors d’une interview pour Audio Visual City vous avez dit aimer raconter des histoires. En quoi les réactions du public impactent la continuité de l’histoire ?
A : Les histoires abstraites peuvent être très subjectives. J’essaie de créer un fil conducteur, par exemple avec une ligne qui se transforme, se développe, mute, évolue, explose et devient un point. Les couleurs imprègnent les émotions. Le public réagit différemment, mais il est très réactif à ce qui se passe dans l’image. Parfois les histoires ne sont pas linéaires et il ne s’y attend pas.
Vous concevez vos propres logiciels, quelle place la technologie numérique joue dans vos performances ? Les logiciels sont-ils également acteurs des performances ?
D : Le logiciel personnalisé est pour moi un simple instrument. Il n’intervient pas de son propre chef. Prendre la décision de l’utiliser ou non dépend seulement de ce que je souhaite faire et la manière d’y parvenir.
A : Bien sûr, J’ai longtemps travaillé avec le langage de programmation « Processing ». J’ai créé un module afin de pouvoir l’utiliser en temps réel. C’est un acteur fondamental, l’art génératif n’a plus seulement un exécuteur, the code agit de lui-même et il tient un rôle majeur dans le rendu de la performance.
Dariusz, Dimension N mis à part, vous travaillez aussi beaucoup avec le cinéma ou le théâtre (comme lors de votre collaboration avec Judith Depaule pour la création Corps de femme). Comment cela transforme votre travail ? Comment cela influe sur votre musique ?
D : Dimension N est une performance audiovisuelle. C’est l’articulation entre certaines formes artistiques telles que la musique électronique, synthèse générative et la vidéo, le tout contrôlé par un système interactif. Je travaille avec des formes artistiques variées dont le théâtre et le cinéma, mais la performance audiovisuelle m’accompagne depuis le début de mon parcours en 2004. Les changements font partis de la continuité et ce projet est singulier grâce à sa connexion unique entre les arts et les performeurs.
Alba, la musique s’étend naturellement dans l’espace. Comment occupez-vous l’espace avec votre travail en relation avec la musique ?
A : Nous avons longtemps discuté et observé l’espace qu’occupe la projection lors d’une performance. J’aime vraiment le cadre rectangulaire qu’offre un écran de bonne qualité, en fonction du positionnement du public et de la configuration du lieu, l’écran peut devenir le point de focalisation, le centre d’intérêt de la scène. L’artiste visuel ne doit pas uniquement penser au contenu qu’il projette, il doit également réfléchir où le projeter pour la création de sa scénographie pour qu’elle soit à la fois en adéquation avec le projet et qu’elle implique l’espace physique.
J’ai commencé à étudier les technologies 3D également, dans le but de créer des sculptures numériques. Bien que mon travail même en 2D ait des perspectives/couches et qu’il puisse donner une impression de 3D, ça serait formidable de pouvoir évoluer sur un troisième plan. Je suis également très intéressée par l’espace visuel que les casques de réalité virtuelle proposent. Créer une pièce pour cette technologie sera mon prochain projet, mon prochain challenge.
Pour Transcultures, septembre 2016
Propos recueillis par Léo Desforges-Barcelo
Edition Jacques Urbanska