Arthur Zerktouni aime à provoquer l’imprévu pour en tirer une exploitation créative. Sculpteur de l’immatériel, il donne forme à des phénomènes sonores dans un monde à frontières ouvertes. C’est avec le fil (omniprésent dans son travail) qu’Arthur nous présente ces frontières.
Cet artiste aime également se mettre en scène lors de performances et laisser s’exprimer sa spontanéité qui n’a pas de places dans la minutie de ses productions plastiques.
Il a été présent dans le festival City Sonic #14 avec son œuvre Composition#8 (dans le cadre du partenariat avec L’ENSA de Bourges), pour traiter de manière très intime d’un phénomène sonore spécifique. Il a également été, en collaboration avec Janick Deneux, sur scène, le temps d’une performance-concert à l’aide d’une lutherie électronique qui mêle des mécanismes bricolés à des traitements numériques.
interview aaar.fr 2014
Pouvez-vous nous parler de votre démarche artistique ? Comment Composition, l’œuvre que vous présentez lors de ce festival s’intègre-t-elle à cette démarche ? Quelle place y a-t-elle ?
Arthur Zerktouni : Mon travail artistique porte sur les relations qu’entretient le sonore au visuel, je crée des installations qui ont pour but de donner à voir des phénomènes auditifs qui me semblent particuliers : acouphènes, fréquences, morse, architecture sonore, surdité…
L’œuvre que je présente au festival, Composition#8, intègre une série d’installations démarrée en 2011 intitulée Composition# et qui est au cœur de mes recherches plastiques sur l’écriture du phénomène sonore. Cette série se caractérise par l’utilisation du fil et de la lumière noire, j’ai présenté ces installations à diverses reprises, chaque version était alors faite spécialement pour le lieu d’exposition.
Composition#8 que je présente pour le festival City Sonic 2016 est une nouveauté dans la série du fait de la projection vidéo en lieu de l’éclairage ultraviolet mais surtout parce qu’elle est intimement liée à mon expérience personnelle : cette installation traite du syndrome de la tête qui explose dont je suis sujet.
Ce syndrome provoque des bruits hallucinatoires lors de l’endormissement, je souhaitais donner à voir ces sons que je suis le seul à entendre.
Composition, le titre de cette œuvre est-il en référence à la musique, très présente dans votre travail ?
Arthur Zerktouni : J’ai choisi le mot composition pour le double sens qu’il produit : bien évidemment il fait référence à la composition musicale mais aussi à la composition picturale. Mes installations sonores sont paradoxalement silencieuses.
Je joue des sens, je tente des allers retours synesthètes. D’ailleurs ma pratique musicale de compositeur va également dans ce sens car je produis presque exclusivement des compositions sonores pour les vidéos d’artistes avec lesquels je collabore, notamment Nikolas Chasser Skilbeck avec lequel nous sommes complices depuis des années.
Le fil est un élément principal de votre travail. Vous en parlez comme d’une symbolique de la frontière. Le considérez-vous également comme symbolique de la trajectoire, du chemin ?
Arthur Zerktouni : Effectivement le fil joue ce double jeu dans mon travail, je le considère d’une part comme la dernière frontière du visible mais aussi comme le conducteur de ma pratique. C’est un matériel qui me guide et m’émerveille constamment d’autant plus qu’il est lié à mon histoire familiale : mon grand-père était ingénieur textile, ma mère couturière styliste et mon père grossiste en tissus, j’ai grandi avec le fil.
Mais pour revenir à mon travail artistique, j’avais nommé la première installation de la série composition# : composition pour Ariane. Il y a quelque chose chez Ariane qui m’émeut, un sentiment familier qui prend le fil comme une métaphore de la vie, que tout ne tient qu’à un fil, la fragilité d’un parcours ou d’une trajectoire qui peut facilement s’emmêler.
Sur votre site, vous faites mention d’une « esthétique fonctionnaliste » à propos de votre travail. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?
Arthur Zerktouni : Ce que je nomme esthétique fonctionnaliste est pour moi une ligne de conduite plastique qui résulte des choix qui se font lors du processus créatif. J’entends par là le fait de choisir de peindre le bois qu’on utilise par exemple, ou encore de cacher ou pas les moteurs ou les câbles électrique d’une installation.
Dans mon travail chaque élément a une fonction et de ce fait participe à l’esthétique globale du projet final. De ce fait je m’exerce â mettre en valeur le squelette technique d’une installation. Je n’ai pas choisi le terme fonctionnaliste par hasard non plus, il s’agit d’un mouvement anthropologique qui m’a marqué et je souhaitais traiter les éléments qui font mes installations à la manière d’un groupe fait de différences complémentaires.
Vous faites également des performances, comment cela complète-il les œuvres que vous présentez en parallèle? Comment percevez-vous le fait de vous mettre en scène?
Arthur Zerktouni : Je fais également des performances oui, pas toujours sonores, ou du moins n’ayant pas toujours le son comme but final. Ce qui m’intéresse dans la performance c’est de pouvoir jouer mon propre rôle, c’est ce qui de mon point de vue la différencie du jeu d’acteur ou du spectacle vivant. La performance me libère.
J’ai cependant un peu de mal à appeler un live sonore par le terme de performance. Je suis de moins en moins en accord avec l’appellation « performance sonore » à laquelle je préférerai tout simplement le mot « concert ».
Quoi qu’il en soit, la performance me permet d’avoir un autre rapport avec le spectateur, de lui présenter une création qui se fait et de partager un moment intime. C’est une sensation qui mêle puissance et faiblesse.
Quelles sont vos principales sources d’inspirations, que ce soit pour votre travail plastique ou bien pour vos performances ?
Arthur Zerktouni : Mes principales sources d’inspirations viennent de détails que j’observe au quotidien : une lumière qui réfléchit sur un plafond, un objet qui se comporte d’une manière singulière. Je tente de provoquer des événements dont je n’attends aucun résultat et j’espère pouvoir les observer avec mon regard plastique.
J’ai toujours trouvé le fonctionnement de mes installations par hasard, la serendipité est pour moi essentielle. J’aime les idées simples, les mécanismes ingénieux, les esthétiques efficaces.
Pouvez-vous nous parler de la performance que vous avez réalisée avec Janick Deneux ?
Arthur Zerktouni : Notre performance avec Janick Deneux est une improvisation jouée avec des instruments que nous avons créés : un aqua sampler, des électro tablas, une boite à musique éolienne, divers capteurs de mouvements et des platines modifiées.
Nous nous sommes rencontrés lors de notre formation en art et création sonore à l’ENSA Bourges, Janick pratiquais le scratching et je m’intéressais depuis quelques années au rap francophone indépendant et particulièrement aux beat-makers : nous sommes donc rapidement devenus amis, mais l’idée de cette performance, qui est donc tournée vers le hip-hop et l’abstract, n’a germé que récemment.
Je pense que nous cherchions tous les deux des moyens de jouer une musique abstract qui nous appartienne, qui sorte des sentiers battus des mesures classiques du hip-hop et qui finalement rejoigne ce pourquoi nous nous sommes rencontrés : la musique expérimentale, l’électro-acoustique, l’installation sonore et tant d’autres choses qu’on nous a enseigné à l’ENSA.
Vous avez été diplômé du Fresnoy en 2012 puis de l’ENSA Bourges en 2014, qu’est-ce que ces formations vous ont apportés ?
Arthur Zerktouni : J’ai effectivement été diplômé du Fresnoy en 2012, ces deux ans passés à Tourcoing ont été comme une révolution dans ma pratique artistique, j’y ai appris tant de choses. Pas uniquement sur le point purement artistique mais aussi sur la façon de mener un projet, de rester focalisé sur un but.
Ce fut au départ assez difficile pour moi qui m’éparpille facilement (sourire). J’y ai mené des recherches plastiques sur l’eau, matière que j’utilise toujours, en m’attachant au thème de la mémoire.
A ce moment je me posais souvent la question du choix de l’effacement d’un souvenir, j’y ai répondu par une installation interactive où le spectateur voit sa silhouette apparaitre et disparaitre dans une chute d’eau et que j’ai intitulé In Memoriam.
Puis j’ai décidé de retourner à l’ENSA Bourges, où j’avais déjà passé mon DNSEP en 2010, pour suivre le post-diplôme d’art et création sonore en 2014. A ce moment je commençais tout juste ma série d’installations Composition# qui portent sur les relations entre le sonore et son écriture (Composition#8 est présentée aux Abattoirs).
Je me sentais proche de Jean-Michel Ponty et Roger Cochini pour pouvoir approfondir un sujet qui me préoccupe toujours : ils m’ont offert leur confiance dans mon choix de continuer l’exploration visuelle du phénomène sonore.
Cette formation m’a aussi permis de poser les fondements d’un travail qui interroge l’esthétique numérique. En effet, après ma formation intense au Fresnoy tournée vers les nouvelles technologies j’avais besoin de prendre du recul sur celles-ci et de comprendre comment elles pouvaient transcender l’ère de l’informatique.
Transcultures 2016
Propos recueillis par Léo Desforges Barcelo