Actif depuis une quinzaine d’années dans la musique post industrielle/noise avec son duo (en collaboration avec sa femme Nath) Bruital Orgasme, qui se ballade, depuis leur région liégeoise, dans le monde entier et une myriade de cassettes, vinyles et Cds auto-produits ou sortis sur des micro labels alternatifs, Philippe Cavaleri est cette année invité à participer au festival City Sonic.
Deux installations et une performance : Principe de vacuité, dont il présente sur le site des anciens abattoirs de Mons une nouvelle version qui prend la forme d’une cabane, sorte de confessionnal préfabriqué remplie de boîtes à prière bouddhistes ; et Dialogues (Repeat after me) dans un magasin du Passage du Centre. Ce dernier projet se présente en deux volets : une série de vieilles platines où on peut mixer des cours de langue et de beaux vinyles en colle encadrés, qu’il mixera aussi à l’occasion de l’événement Sonic Live Gallery.
Conversation avec un éternel expérimentateur joyeusement illuminé.
Comment est né l’installation Principe de Vacuité que vous présenté sur la pelouse du site des anciens abattoirs de Mons à City Sonic 2016 ? Comment a-t-elle évolué depuis la présentation d’une première version (en collaboration avec Jonathan de Winter lors de la biennale d’art contemporain Dédales organisé par le Centre culturel de Huy en 2012 (également partenaire de City Sonic cette année-là) ?
Philippe Cavaleri : Tout a commencé par un paquet envoyé par un musicien de Hong Kong, qui contenait, comme il me l’avait décris, un objet susceptible de m’intéresser…
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir à l’intérieur cette petite boîte de plastique, qui une fois allumée récitait des prières, en boucle… J’appris donc de cette façon qu’à notre époque il n’est plus besoin de prier, il suffit de laisser ce ‘juke box a prière’ (sic) faire le travail.
Le jour même, je recevais l’appel à projet pour le parcours d’art sonore organisé par le centre culturel de la ville de Huy, en partenariat avec Transcultures. L’idée m’est venue de suite de proposer une installation contenant non pas une, mais des dizaines de boîtes à prière, allumées toutes en même temps, et de la présenter dans une sorte de « chapelle décadente ». Le projet ayant été accepté, j’ai demandé à mon ami Jonathan de Winter de réaliser la structure pouvant accueillir l’installation, et d’y ajouter une boîte contenant des textes que j’ai écris pour l’occasion, sur la prière, la mort et le rite. J’ai fait lire ces mots par un logiciel de synthèse vocale, rendant ainsi mes textes aussi factices que ces prières pré-enregistrées.
Lorsque Philippe Franck m’a proposé de représenter Principe de vacuité pour l’édition 2016 de City Sonic, j’ai voulu aller encore un peu plus loin dans le préfabriqué, et cette fois l’installation se trouve dans une cabane en bois sous forme de kit à monter soi-même. Le visiteur pénètre dans une pièce de petite dimension, et face à lui, séparées par un ‘mur’, les boîtes. Cette structure évoque pour moi l’aspect confessionnal que je voulais à l’origine du projet.
Dans le texte de présentation de Principe de vacuité, vous évoquez « la fascination de l’artiste pour de l’acte de prier hors de toute connaissance disponible »… Pouvez-vous nous l’expliquez ?
Philippe Cavaleri : J’ai eu une éducation très religieuse (sur laquelle je ne m’étendrai pas), et l’acte de prier, de parler à haute voie à ce quelqu’un d’invisible me paraissait assez fascinant. Etrange aussi. A qui, pour quoi, je ne pouvais répondre. Cette connaissance qui ne nous est pas disponible est ce que l’on nomme la foi.
Vous proposez, aussi pour City Sonic#14, une nouvelle installation et performance Dialogues (Repeat after me) dans laquelle vous utilisez des vinyles en colle. D’où vous est venu cette envie ? Quelles matières sonores et plastiques allez-vous traitées ?
Philippe Cavaleri : Je suis très intéressé par la linguistique, la communication… La communication est sensée être rendue plus facile par les nouvelles technologies. Mais, en pratique, il n’en est rien, et elle n’a jamais été aussi peu efficace qu’à notre époque. Hors, quelle est la base de cet échange verbal, sinon le mot, sa structuration, sa diffusion, son apprentissage ?
Pour Dialogues créé pour City Sonic 2016, des cours de langues sont lus sur des tournes disques (je suis fasciné par la boucle, ce qui me ramène très souvent au disque vinyle), et les copies ‘basse qualité’ de ces disques sera présentés parallèlement, en ‘œuvre plastique’, la musique étant emprisonnée dans une belle boîte d’exposition.
En montant l’installation, je me suis rendu compte des nombreux liens entre ce projet et Principe de vacuité… mais je laisse le soin au visiteurs de les trouver par lui même.
Personnellement qu’attendez-vous d’un festival des arts sonores comme City Sonic auquel vous participez pour la première fois cette année à Mons ?
Philippe Cavaleri : De l’idée à sa réalisation, un projet artistique évolue, se modifie, se clarifie (un peu).
Mais finalement les questions ne trouvent jamais leurs réponses, en tout cas pour moi.
A chaque fois, c’est un défi envers moi même de présenter au public mes questionnements, et cette proposition de participer à City Sonic et d’y présenter mes installations est arrivée à un moment où je voulais vraiment voir à quoi ressembleraient ces idées une fois concrétisée…
J’espère aussi pouvoir ‘confronter’ ma vision des choses avec celle des autres artistes invités.
Vous êtes très actif avec votre compagne Nath Cavaleri, au sein du duo expérimental et noise « Bruital Orgasme ». Comment ce projet a-t-il évolué et quelle est son essence ?
Philippe Cavaleri : Bruital Orgasme est né de notre désir d’aller plus loin que la musique, de ne plus rester dans le narratif, mais de repousser les frontières (déjà bien floues) entre le son la musique et le bruit…Pour schématiser quelque peu, nous sculptons dans la matière sonore, la matière brute du bruit. Très vite, nos propositions ont attirées les oreilles audacieuses, et les invitations à donner des performances sont arrivées. Nous avons ainsi pu partager nos expérimentations aux quatre coins du monde. Ce qui nous étonne le plus, c’est la réception du public… certains désireraient quitter la salle, quelque peu effrayés, voir submergés par la puissance des sons… mais ils ne peuvent que se laisser aller dans le flot, et très souvent on nous parle d’état de transe, d’état méditatif induits par nos jeux avec les fréquences…
Vous travaillez aussi d’autres médiums comme la photographie et l’image en mouvement, comment ce travail rentre-t-il en résonance avec votre création sonore ?
Philippe Cavaleri : Je ne cloisonne pas/plus mes différentes pratiques, le meilleur exemple étant qu’actuellement je travaille sur des partitions graphiques, que j’aimerais proposer à des musiciens classiques pour voir comment ils interpréterons mes idées…Je viens de terminer l’enregistrement d’une pièce en collaboration avec une chanteuse lyrique espagnole (également pianiste), où je manipule sa voix à l’aide de patch informatique. Le résultat est assez étonnant et sortira d’ailleurs au mois d’octobre sur un label canadien. Mes derniers travaux jouent avec l’aspect visuel du son, et le côté sonore de l’image. C’est comme ça que j’aime m’exprimer pour l’instant…
Transcultures 2016
Propos recueillis par Julien Delaunay