John Cage disait : « laissons les sons être ce qu’ils sont ». Lorsque Gilles Malatray (du cultussime blog DESARSONNANTS) l’a entendu, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Promeneur écoutant, il prend soin de toujours rester attentif aux sons qui l’entourent. Soucieux de leur redonner une place centrale dans les paysages, il s’évertue à nous faire tendre l’oreille, à nous donner goût à l’observation auditive.
Pour ce faire, Gilles n’hésite pas à se diversifer. Tour à tour initiateur de Parcours audio sensibles, artiste sonore, professeur, ou encore derrière un micro pour des émissions radio, Gilles a été denouveau cette année été présent à nos côtés pour City Sonic 2016.
Pour la quatrième année consécutive (en compagnie de Zoé Tabourdiot depuis 2015), il s’est occupé de la Sonic Radio en collaboration avec YOUFM, la radio universitaire montoise. Il a également conçu le jeudi 15 septembre un parcours audio sensible nocturne, pour emmener le public dans la ville de Mons.
La Sonic Radio 2016
Comment sont nés et se sont développés vos Parcours Audio Sensibles (PAS) que vous avez proposés dans des contextes très divers ? (et depuis quand ?)
Gilles Malatray : C’est une longue histoire. Tout d’abord mon parcours professionnel, du paysage à la musique. Puis des rencontres, Elie Tête et son association Aciréne, avec laquelle nous avons arpenté le Parc Naturel Régional du Haut-Jura, en France, pour trouver des sites auriculaires remarquables, avec de nombreuses promenades écoute, au départ pour des enfants…
Enfin, le développement d’un projet personnel, en marche, qui convoque des champs esthétiques liés aux arts sonores, en s’appuyant notamment sur les travaux de Max Neuhaus, et des champs liés à l’écologie sonore (Murray Schafer). C’est l’idée d’un travail contextuel, chaque balade pour chaque lieu et chaque moment, et éminemment contextuel, avec l’idée en toile de fond de paysages sonores partagés et d’expériences relationnelles fortes.
Vous êtes un habitué de City Sonic et de Mons. Vous avez à plusieurs reprises animé la Sonic Radio avec Zoé Tabourdiot. L’année passée vous étiez présent avec une pièce paysagère et sonore. Cette année vous revenez avec un parcours audio sensible noctambule. Quelle est votre perception de ce Mons « Sonic » ? Y a-t-il des lieux que vous souhaitez cette année nous faire découvrir ?
Gilles Malatray : Mons est devenu pour moi une sorte de pèlerinage, de Mecque sonore, un rendez-vous incontournable, une ville laboratoire pour expérimenter des points d’ouïe et des parcours sonores, des bancs d’écoutes, des captations sonores… Et surtout un lieu de découvertes d’œuvres, d’artistes, et de personnes passionnées d’écoute, de sons, de musiques, de dispositifs, d’instruments… Un lieu de rencontres, d’échanges, de discussions, où sont nées pour moi de belles amitiés. Une belle équipe… Des lieux, des pierres, des rues, des places, des bancs, des acoustiques, de jour comme de nuit.
Mes musts pour la vue, l’ambiance, l’acoustique, des bancs au-dessus d’un jardin, près de la Grand-Place, sous le beffroi, un autre contre l’église Sainte-Elisabeth, Le passage du centre quand la musak est coupée, Mons et ses ruelles, surtout en fin de soirée, entre chiens et loups, voire de nuit…
Avez-vous des souvenirs, des expériences de promenades montoises ou de « rencontres d’écoutes artistiques » fortes dans les éditions passées dont vous aimeriez nous faire part ?
Gilles Malatray : Beaucoup… Choix cornélien… Alors au hasard et selon comme elles me viennent à l’esprit, la salle de la machine à eau avec plusieurs belles et grandes installations. Peter Friess et Maurice Charles JJ avec de poétiques paroles et images sur l’eau, les hamacs vibro tactiles de Pause par Julien Clauss et Lynn Pook, les vinyles killers et les cartes postales de Cléa Coudsi & Eric Herbin, D’ores et d’espace de Denys Vinant… Sur l’édition 2016, Les belles endormies de Louis Chrétiennot et Vortex de Sophie Stassin…
Mais tant d’autres surprises sonores encore. Et puis encore des rencontres, des amitiés, de longues conversation où l’on refait le monde sonore, et autre, devant une bière fraîche, ou un plat mijoté et dégusté dans le calme d’un jardin caché au cœur du vieux Mons…
Lorsque vous animez la Sonic Radio, votre relation au public évolue. Cette relation est désormais uniquement auditive, qu’est-ce que cela change pour vous ?
Gilles Malatray : En fait, le rendu radiophonique est uniquement auditif, sauf si l’on exclue les images mentales sans doute provoquées chez l’auditeur, je l’espère en tout cas, mais surtout, la construction de contenus pour ce média engage de vraies et fortes relations humaines, des rencontres de visu, des échanges devant les micros, en studio, sur les lieux de montage, et hors micros.
La radio est un formidable vecteur de paroles échangées, de connaissances partagées, de moments d’intimités, une façon de montrer aussi le côté cuisine, la façon de travailler de artistes, parfois bien loin des préconçus.
Et puis, le binôme avec Zoé Tabourdiot est toujours une belle expérience humaine, une façon solidaire et énergique d’affronter le speed des derniers jours avant le vernissage. Si la Sonic radio n’existait pas, il faudrait l’inventer !
La relation à l’artistique se transforme également (interviewé, capturé, archivé…) comment la percevez-vous?
Gilles Malatray : La relation à l’artistique, voire même l’artistique tout court, ne cesse de se transformer, de se renouveler. Depuis que l’homme a orné les murs des cavernes refuges, a forgé un langage parlé, des langues, des techniques pour les écrire, les imprimer, capturé images et des sons, jusqu’à l’avènement numérique de ces dernières années, le discours artistique se transforme forcément, parfois en douceur, parfois radicalement.
Chaque époque amène son flot de transformations qui offrent à l’artiste de nouveaux outils, de nouveaux modes de réflexions, des propositions multimédia qui chamboulent les dispositifs, les esthétiques. Ceci dit, la matière sonore, par exemple, reste la matière sonore, et l’œuvre à partager, quel que soient les média, les technologies, les dispositifs, n’est riche, pour moi que si elle me « parle », voire m’émeut, au-delà de toute évolution au fil du temps.
Sans me placer comme un « ancien », j’ai vu passé les bandes magnétiques, les magnéto-cassettes, les Walkmans, les DAT, jusqu’au « tout numérique » qui n’arrête pas de se miniaturiser, et qui a grandement allégé nos outils, avec un studio entier dans le sac à dos, mais qui ne rendront pas plus intelligent l’artiste en panne d’idées ou de discours.
(Ré)écoutez la Sonic Radio 2015
Pouvez-vous nous parler de vos dernières installations sonores ?
Gilles Malatray : Toujours en relation, voire en militance pour une écoute qualitative de nos paysages sonores, j’ai eu ces derniers temps la chance de travailler sur deux installations sonores que je qualifierais d’environnementales.
La première, « Canopé » en partenariat avec le CRANE Lab et Jean Voguet, ainsi qu’avec la mairie de Montbard, dans la Bourgogne française, se tient dans une clairière du magnifique parc jardin du château Buffon. Deux média sont présents, avec de grands panneaux graphiques de l’artiste Sterenn Marchand Plantec, autour des planches anatomiques du naturaliste Daubenton, et un volet sonore ornithologique, autour du travail du naturaliste Buffon, et plus particulièrement de ses planches d’illustrations avicoles. Cette installation sonore s’appuie sur de nombreux enregistrements d’oiseaux, en les retravaillant acousmatiquement sur 17 points de diffusion perchés dans des arbres. C’est une polyphonie d’oiseaux imaginaires qui habitent, jours et nuits, quatre mois durant, le parc, tout en dialoguant d’ailleurs sympathiquement avec les « vrais » oiseaux locaux. Une façon de tendre l’oreille aux sons environnants, tout en parlant au public de la fragilité de nos éc(h)osystèmes, d’où disparaissent petit à petit, irrémédiablement, de nombreux chants d’oiseaux. Cette installation a été également l’occasion d’inaugurer officiellement, en présence d’élus, deux nouveaux Points d’ouïe et de faire quelques PAS – parcours Audio Sensible collectifs.
La deuxième installation « Echos de la Saline » est une œuvre collective, avec une équipe d’amis artistes réunis à la Saline Royale d’Arc et Senans, et composée de Pierre-Laurent Cassière, Ben Farey, Aurélien Bertini, Corsin Vogel, plus Desartsonnants, avec Lionel Viard et son équipe aux commandes… Et hélas, notre groupe devait aussi accueillir Etienne Bultingaire, décédé prématurément au tout début du projet, et à qui l’installation est dédiée, en hommage à ce bel et généreux artiste trop tôt disparu. Cette écriture sonore collective est elle aussi installée dans les arbres et, pour ma part, s’appuie autour d’enregistrements préalablement effectués à la Saline et dans ses environs. Une trentaine de haut-parleurs jalonnent une allée de tilleuls avec des sons qui courent ici et là, mis en espace et en mouvement par la magie d’une savante technologie Arduino, et d’un programme spécialement écrit par le « Collectif 36-15 ». Cette installation est pensée de façon pérenne, mais avec de très souples possibilités de compositions, d’écritures in situ, mises en espaces pouvant inviter d’autres artistes compositeurs à venir sonifier, faire sonner cette allée dans le somptueux cadre de la Saline Royale d’Arc et Senans.
Transcultures 2016
Propos recueillis par Léo Desforges Barcelo
Edition Jacques Urbanska