Les « Machinasons » de Natalia de Mello – Interview

Les « Machinasons » de Natalia de Mello – Interview
31 août 2017 City Sonic

Diplômée en dessin et stimulation graphique de l’ENSAV La Cambre, Natalia de Mello a aussi suivi des formations en vidéographie, photographie, gravure. Son travail est essentiellement axé sur l’exploration formelle de l’espace. Il s’agit pour cette artiste et enseignante (à l’école des arts visuels de Mons Arts2) belgo-portugaise autant de sortir l’art de la vitrine de la galerie traditionnelle que d’inviter le public à s’immerger dans l’espace de l’œuvre.

Son goût pour les collaborations (elle a co-fondé notamment, au début des années 2000, le collectif multimédiatique MéTAmorphoZ avec Valérie Cordy, travaillé sur des installations, vidéos et performances avec les musiciens Gauthier Keyaerts, Christophe Bailleau, Margarida Guia, Isa Belle + Paradise Now) et l’exploration d’autres champs interdisciplinaires au-delà des seuls arts plastiques, l’ont poussée à participer ou à initier des spectacles, des performances qui deviendront autant de lieux d’expérimentations multimédiatiques et de croisement avec les technologies numériques sur  lesquelles elle porte un regard non dénué d’humour.

Artiste régulièrement soutenue par Transcultures, Natalia de Mello revient, cette année, dans City Sonic, pour une création ludique, poétique et sonore au Musée des Beaux Arts de Charleroi. L’occasion de revenir sur le cœur de sa démarche créative plurielle, ouverte et généreuse.

Dans le cadre d’une interview réalisée pour City Sonic 2017, Natalia de Mello répond à nos questions.

Crédits: J. Spriet d’après une idée d’Héloïse Duhot

Interview

Comment en êtes-vous venue, après des études de dessins et stimulation graphique à la Cambre (Bruxelles), à votre pratique actuelle ? Pouvez-vous retracer brièvement votre chemin ?

Natalia de Mello : Lorsque j’ai débuté par des études de dessin, je voulais être artiste. À l’époque, j’assimilais le dessin à l’écriture et la pensée pure. Je voulais apprendre à voir et à réfléchir en art. Juste après mes études, j’ai rapidement commencé à exposer en galerie d’art ou dans des institutions spécialisées en art visuel (ex. galerie Modulo au Portugal / Le Botanique à Bruxelles).

Vers 1995, l’envie de rencontrer d’autres pensées et démarches artistiques, d’avoir une démarche pluridisciplinaire et plus contemporaine m’a conduite vers des lieux alternatifs tels que les Bains Connective à Bruxelles où se rencontraient des artistes de différentes disciplines et nationalités. C’était une période d’expérience qui m’a permis de commencer à faire des installations, des œuvres in situ et d’aménager des espaces avec un processus d’accueil, de circulation et de rencontre avec et pour le public.

La metteure en scène Valérie Cordy m’a contactée après avoir vu Ouvrage de Dames en 2000, elle m’a engagée comme scénographe plasticienne et  en 2001, puis nous avons crée le collectif pluridisciplinaire MéTAmorphoZ. Il m’importait peu à l’époque dans quel champ ma pratique artistique pourrait se situer, l’essentiel était d’ouvrir ma pensée le plus loin possible, d’être engagée dans le monde et de rencontrer d’autres formes pour voir le monde. Avec le collectif MéTAmorphoZ, nous nous sommes intéressées aux nouvelles technologies domestiques d’usage quotidien (téléphones portables, internet, jouets robots, intelligences artificielles et systèmes de surveillance, codes barres, puces électroniques, etc.). Nous réfléchissions à leurs enjeux et à leurs effets en montant des spectacles, qui étaient à la fois des performances et des installations multimédias mêlant nouvelles technologies et artisanat (ex. écritures en pâtes alimentaires / réseaux à base de rouleaux papier wc, etc.). L’histoire de l’art reste pour moi une grande influence. Dans chaque projet que je crée, il y a toujours une œuvre d’art qui m’inspire (cela peut être une peinture de Van Dyck comme une action de Fluxus), et en parallèle toujours le lieu où l’idée dans et pour lequel j’interviens. En effet, l’espace abordé est généralement un lieu de vie qui ne m’appartient pas mais qui a une histoire qu’il m’incombe de découvrir. C’est donc aussi un moment de curiosité, de découverte, d’étonnement, d’imprévu ou d’improbable. Je dois constamment trouver de nouvelles stratégies de dialogue et de pensée, ce qui m’oblige à ne pas répéter les mêmes formules. La place et le rôle du public varie donc en fonction des demandes et des démarches qu’impose le lieu.

Il y a beaucoup d’épreuves à affronter mais c’est aussi cela qui m’oblige à me remettre constamment en question et me donnent le sentiment que rien n’est jamais acquis.

Vous travaillez très souvent sur des supports multimédias, comme les vidéos. En quoi est-ce important pour vous, qu’est-ce que cela apporte dans votre travail artistique ?

Natalia de Mello : Au départ, en 2003, la vidéo répondait à la volonté de filmer des actions menées dans des lieux sans témoins. Ces vidéos étaient ensuite retravaillées et intégrées dans des spectacles du collectif MéTAmorphoZ. C’était aussi une manière de collaborer avec d’autres dans une création collective.

La vidéo est pour moi le moyen de pouvoir montrer ce que je fais et aussi ce que je découvre lors de mes déambulations qui sont un espace d’improvisation et d’exploration spontanée. Le montage me permet de jouer, de modifier et de transformer la réalité pour lui donner de la profondeur de la poésie et du sens.

 

Comment définissez-vous et incluez-vous la dimension « numérique » dans vos œuvres ?

Natalia de Mello : La machine est pour moi une prothèse. Elle reste un outil mais pas une finalité. J’ai eu toute une période où j’avais une pensée sur le numérique, sur le lien entre la machine et l’homme et son impact sur notre quotidien comme le projet  Ami mode d’emploi  que j’ai réalisé en 2003.

Aujourd’hui j’inclus aussi la nature, car en pensant uniquement aux machines j’ai senti la nécessité de revenir plus à la vie non composée par l’humain.

La dimension numérique dans mon travail aujourd’hui porte plus sur l’impact visuel et auditif qu’elle peut avoir sur notre quotidien.

Quel regard portez-vous sur l’effervescence de la création numérique aujourd’hui ?

Natalia de Mello : Le savoir faire numérique fait partie des outils qu’utilisent naturellement les nouvelles générations d’artistes et le mode de pensée en art évolue avec cette donnée. Il me semble que la difficulté aujourd’hui dans les arts numériques est de pouvoir distinguer la création artistique de l’animation purement ludique et par conséquent de ne pas se laisser prendre par la fascination technologique mais plutôt savoir s’en servir pour amener la création artistique sur de nouveaux terrains à explorer.

 

Quelle a été votre démarche pour la création de Composition pour machins et machines sonores ?

Natalia de Mello : Le point de départ de ce projet vient d’une installation réalisée en 2012 et intitulée Composition pour 16 ordinateurs en référence à Composition pour 18 musiciens de Steve Reich. Sur le même principe, j’ai remplacé les musiciens par des ordinateurs qui produisaient des sons de machines afin de construire une boucle sonore en intégrant progressivement les sons de chacun de ces ordinateurs. Ces bruits sont des signaux ou des interférences sonores qui meublent notre quotidien équipé de machines diverses auxquels notre oreille semble être accoutumée mais qui, diffusés sur le mode d’une ritournelle musicale, perturbent l’auditeur.

À partir de là, mon intention a été de substituer à cette installation complexe et contraignante des machins et machines sonores qui remplissent les mêmes fonctions et que je fabrique moi-même, comme mes Monotypes-prototypes. Ces boîtes confectionnées à partir de visuels d’écrans d’ordinateurs et accrochées au mur sont des pièces hybrides qui tiennent à la fois de la marqueterie et de la sculpture néo-plasticienne, du tableau et du bas-relief, de la machine et de l’objet d’art manufacturé. En y ajoutant une enceinte sonore intégrée invisible, ces machins et machines sonores deviennent en quelque sorte des boîtes à musique mécaniques contemporaines.

Comment croisez-vous votre pratique pédagogique au sein de Arts2 et votre travail personnel ? Comment croyez-vous que se nourrissent ces deux pratiques l’une de l’autre ?

Natalia de Mello : Ma pratique pédagogique est nourrie par mon parcours et mon travail artistique. Contrairement aux théoriciens, c’est mon expérience artistique qui nourrit et justifie ma pratique pédagogique. Il est clair que l’exigence d’analyse et de conceptualisation que j’attends de mes étudiants rejaillit nécessairement sur ma pratique artistique, comme lorsque mes recherches pédagogiques sur le mouvement Fluxus m’ont amenée à un travail d’écriture et de vidéos artistiques (un livre et film en témoignent) qui en retour ont donné lieu à des exercices proposés à mes étudiants en art vidéo.

Quelle-est pour vous la spécificité de l’école Arts2 et de votre cours (vidéo) en particulier ?

Natalia de Mello : La spécificité de l’école ARTS2 tient d’abord, vu son implantation géographique, à la mixité sociale, culturelle, économique de ses étudiants dont beaucoup sont issus de milieux peu familiarisés avec le monde de l’art. Ils arrivent donc à l’école sans avoir une connaissance à priori des codes de l’art contemporain mais avec une fraîcheur et liberté qui nous étonnent nous-mêmes en tant qu’enseignants et artistes professionnels. Une autre particularité d’ARTS2 est de réunir trois domaines artistiques : arts visuels, théâtre et musique, ce qui permet des collaborations et des échanges féconds. C’est notamment le cas pour les cours de vidéo pour lesquels j’essaie d’établir des collaborations avec d’autres cours comme le «bouquet son», «livre d’artiste», le cours d’acousmatique, etc. et des partenariats avec le monde professionnel de la vidéo (Festival Vidéoformes à Clermont-Ferrant, le Kultuurkaffe de la VUB et Argos à Bruxelles, Vidéozone à la Maison Folie et Transculture à Mons, etc.).

Vous avez également participé en tant qu’enseignante aux travaux dans les arts numériques entre les étudiants d’Arts2 et la villa Arson à Nice en partenariat avec Transcultures. Quel regard portez-vous sur ces échanges ?

Natalia de Mello : Ce sont avant tout deux écoles très différentes dans leur organisation comme dans leur culture pédagogique. Transcultures a permis une rencontre improbable entre ces deux écoles. La villa Arson est l’une des plus prestigieuses écoles d’art de France et fonctionne avec des moyens qui nous font rêver. La première des trois années du partenariat (la seule où je suis allée à la villa Arson), il m’a semblé que certains de nos étudiants en arts numériques étaient plus avancés sur le plan technique mais pas forcément sur le plan artistique. Cela a permis des échanges avec les étudiants de la villa Arson. Cette rencontre a donné à voir une autre réalité de ce que peut être une école d’art tant pour les étudiants belges que pour les étudiants français.

Quel regard portez-vous sur le festival City Sonic et son approche particulière du son dans la ville ?

Natalia de Mello : Il y a peu d’occasions pour le public de découvrir le domaine de la création sonore contemporaine. Un festival de ce type est donc précieux tant pour les artistes sonores auxquels on donne les moyens de produire et de faire entendre leurs créations que pour le public, généralement peu familiarisé avec ce type d’expérimentations sonores. C’est aussi un moyen de professionnaliser ce secteur qui est très expérimental.

 

Pour Transcultures,
interview réalisée par Claire Brémond
dans le cadre de City Sonic#15