Coordonné par Maurice Charles JJ (aka Jean-Jacques Duerinckx) et Matthieu Safatly, musiciens fouineurs basés à Bruxelles et qui tournent à l’international avec différentes formations, OMFI – One Moment Free Improv fait le part belle à la créativité des musiques improvisées dans leur diversité.
En juin 2015, lors d’une soirée à Recyclart (Bruxelles) en partenariat avec City Sonic, on avait déjà pu apprécié le goût de OMFI, pour la programmation inventive avec le duo belge Timo van Luijk et Kris Vanderstraeten ansi que le multi percussionniste français Nicolas Lelièvre que l’on retrouve aussi dans Quattrophage, groupe breton hors norme dont est aussi membre Matthieu Safatly.
Et voici que OMFI est invité à composer l’événement de clôture de City Sonic@Mons2015, le 27 septembre (15>19:00), avec une dizaine de musiciens et performers (outre Maurice Charles JJ au sopranino et Matthieu Safatly au violoncelle, le saxophoniste Tom Jackson, le compositeur dictaphoniste Harold Schellinx, les cassette artiste Emmanuel Rébus et le maître des synthés modulaires Fabrice du Busquiel, la masseuse sonore Isa Belle… le tout guidé par le poète intempestif Francis Flament) qui proposent un parcours nomade de la Grand’Place à Arsonic.
Plongée dans ce concept libertaire d’improvisation volontiers collaborative.
Interview croisée
Quand et pour quelles raisons avoir décidé de créer cette initiative collective qui fait la part belle à l’improvisation libre ainsi qu’à la musique improvisée ? Comment s’est-elle développée et plus particulièrement en Belgique ?
Jean-Jacques Duerinckx : J’ai créé le collectif One Moment Free Improv’, qu’on appelle finalement, pour faire simple, OMFI, il y a une petite dizaine d’années. Je baignais dans la musique improvisée depuis un bout de temps mais je demeurais frustré de voir comme elles restait méconnue, victime de préjugés et cloisonnée dans certaines chapelles.
Beaucoup d’expressions artistiques subissent ce triste sort, mais c’est celle-là que je pratique donc celle-là pour laquelle j’ai plus tendance à me battre. La musique improvisée libre a toujours existé et se joue des frontières. L’Angleterre, l’Allemagne ou les Pays-Bas, par exemple, sont des pays qui sont depuis les années soixante des pays militants, des fers de lance européens de cette musique et ont pondu un grand nombre d’artistes mondialement connus.
La Belgique, malgré bon nombre d’initiatives plus ou moins heureuses, est à la traîne, faute d’une visibilité convaincante en la matière et sans doute plus largement faute de décideurs politiques compétents ou tout du moins ouverts dans le domaine de la culture. Ces gens-là ont souvent peur de l’inconnu, ont besoin d’être rassuré, d’avoir du formaté, du rentable. Souvent l’impro libre est prise comme une étape dans le processus créatif et non comme une fin en soi. On lui accorde alors peu de crédit.
Ma volonté était donc de la diffuser le plus largement possible afin d’en faire disparaître les préjugés. Mais également d’extraire cette pratique artistique des chapelles cloisonnées dans laquelle elle a tendance à être ou se placer, d’abolir les frontières entre les arts, de raviver une idéologie libertaire et d’aborder des expériences propices à la découverte, l’interaction et l’évolution.
Tout ça semble illusoire, comme une cause perdue, mais vous savez ce que c’est quand on décide de s’attaquer aux moulins à vents : on y va à fond !
Matthieu Safatly : Mais ça a porté au moins un fruit et j’ai rejoint Jean-Jacques dans la bataille.
Jean-Jacques Duerinckx : On s’était croisés à l’Avant Garde Festival à Schiphorst en Allemagne. Un festival magique avec toutes sortes de musiques un peu déglinguées organisé par Jean-Hervé Péron du mythique groupe Faust. Le feeling est plutôt bien passé et revenus en Belgique, nous avons commencé rapidement à jouer ensemble. Et là, notre rencontre s’est très très bien passée ! J’ai donc naturellement parlé à Matthieu du collectif One Moment Free Improv’. J’avais envie de le partager et également de me sentir épaulé.
Matthieu Safatly : J’étais son Sancho Panza ! (rires) Mais bon, je l’ai vite fait descendre de son canasson et on s’est mis au boulot. Avec moi, il faut que les choses prennent rapidement forme sinon ma motivation s’étiole. Ni une, ni deux, on s’est mis à organiser des soirées tous les mois autour de l’improvisation libre. C’était pas si souvent mais régulier.
Et à chaque fois avec une personne différente qui invitait qui il voulait et sur la thématique qu’il voulait. C’était à la fois dans l’esprit d’ouverture libertaire dont parlait Jean-Jacques, mais en plus ça nous permettait de rencontrer de nouvelles têtes et de se retrouver dans des soirées sur le thème du psychédélisme, ou de l’épouvante, de la femme… qu’on aurait ni osé, ni même pensé faire.
Donc ça a duré environ deux ans, puis il y a eu une longue pause et ça a repris en juin dernier, dans un esprit peut être moins radical mais pas du tout moins enthousiaste.
Jean-Jacques Duerinckx : En effet, aujourd’hui nous persévérons avec d’autres associations, à essayer de changer les choses mais nous ouvrons notre collectif à beaucoup plus de formes d’improvisation. Un des buts et pas des moindres, restant tout de même de vivre un fort moment de plaisir humain et esthétique face à une performance surprenante et créée dans l’immédiateté et surtout dans la liberté !
Matthieu Safatly : Liberté, une notion particulièrement importante actuellement…
Pourquoi parler d’« improvisation libre » ? En elle même, l’improvisation n’est-elle pas soumise au principe de liberté ?
Jean-Jacques Duerinckx : L’improvisation libre est créée dans l’instant sans jalons préétablis… avec comme seul appui ce qui vient d’être joué, créé quelques secondes auparavant. C’est progresser sur la ligne du temps en se nourrissant de l’instant présent. C’est un peu comme « entrer dans l’avenir mais à reculons », une image chère au compositeur Alain Savouret dont je conseille vivement le livre Introduction à un solfège de l’audible.
De plus, l’improvisation libre se joue des idiomes. Même si dans toute performance des citations stylistiques résultantes du parcours de l’artiste peuvent surgir. Il n’est pas possible de se vider de tout son vécu, sa culture, son histoire. De tout oublier.
Par contre, l’improvisation, en générale, peut suivre un schéma, un plan, une grille d’accords… Dans ce cas il s’agira d’une liberté conditionnée, ou « conditionnelle ». On parlera alors d’improvisation idiomatique. Par exemple l’improvisation dans la musique baroque, dans le jazz, dans beaucoup de musiques traditionnelles…
Pourquoi avoir choisi un modèle nomade pour nous faire découvrir vos 8 performers présents en cette édition 2015 de City Sonic ? Qu’apporte cette approche et comment avez-vous choisi les participants (de pratiques et styles musicaux variés) ?
Matthieu Safatly : L’idée avait été proposée par Philippe Franck, le généreux initiateur/directeur de City Sonic… et l’idée nous a emballé. Non seulement ça permettra de toucher un public plus large, mais en plus ça placera les musiciens dans des situations intéressantes voire peut-être cocasses.
Nous ne sommes pas allés jusqu’à les placer dans le rayon nourriture pour chiens d’une grande surface ou au beau milieu d’un tunnel de la petite ceinture, mais l’interaction avec des événements environnants risque tout de même d’être beaucoup plus amusante que dans une salle de concert classique. Et ça, c’est une chose à laquelle nous tenons énormément : que le musicien puisse être inspiré et aspiré par ce et ceux qui l’entoure. À moins de travailler sur un projet particulier mettant le performeur dans une séparation sonore et visuelle nette avec ce qui l’entoure et le public posté à son insu dans un rôle de voyeur, je ne crois pas qu’il soit possible pour un musicien jouant in situ, de rester indifférent à son environnement ou alors le public va s’ennuyer ferme.
Jean-Jacques Duerinckx : Vous pouvez noter que Matthieu est particulièrement friand de mises en situation déstabilisantes.
Matthieu Safatly : C’est pour moi une excellente manière de se découvrir, de s’enrichir et de se dépasser. Les musiciens que nous avons placés dans ce parcours aiment également jouer avec l’acoustique du lieu, se baigner dans le paysage sonore, voire l’utiliser. C’est entre autres pour cela que nous les avons choisis.
Matthieu Safatly : En plus de leur diversités, ce qui permettra au public d’avoir un riche aperçu de la musique improvisée libre.
Vous participez chacun à diverses formations musicales, quels en sont les points communs ?
Jean-Jacques Duerinckx : L’énergie, le rythme… la plasticité du son, le ressenti, le lâcher prise aussi. Il y a toujours une part d’improvisation dans ces formations, mais beaucoup ne sont pas du tout de l’improvisation libre. Nos goûts s’étalent dans d’autres univers : la musique contemporaine, le Kraut Rock, la No Wave…
Matthieu Safatly : La musique baroque aussi…
Jean-Jacques Duerinckx : L’Electro Body Music…
Matthieu Safatly : L’Art Punk…
Jean-Jacques Duerinckx : Le rock expérimental…
Matthieu Safatly : La Bossa…
Jean-Jacques Duerinckx : Et la New Beat, bien-sûr !!!! (rires)
En quoi vos parcours respectifs et vos démarches artistiques se complètent-ils et se différencient-ils ?
Matthieu Safatly : (les yeux grands ouverts et avec un large sourire) Ça, c’est la magie de la rencontre !
Vous avez fait le choix d’occulter le « principe d’autorité » dans votre organisation, c’est-à-dire de ne pas mettre en place une hiérarchie au sein du collectif, pourquoi cette démarche ? Qu’est ce que cela confère-t-il en plus à votre collectif ?
Matthieu Safatly : Pour des raisons idéologiques et pour que nous restions toujours tous dans un état d’esprit d’apprentissage.
Vous avez déjà participé à des éditions antérieures de City Sonic et/ou à des évènements soutenus par le festival (dont récemment un évènement OMFI à Bruxelles et les NBT-Transonic sessions à Recyclart en juillet 2015), comment percevez vous cette manifestation ? Quelle est votre perception des arts sonores aujourd’hui ?
Matthieu Safatly : C’est la première fois que Philippe Franck m’invite dans City Sonic et je n’ai jusqu’alors jamais trouvé l’occasion de m’y rendre en tant que spectateur, mais notre collaboration en juin et juillet sur Bruxelles m’invite à penser qu’à Mons ça va être terrible !
Jean-Jacques Duerinckx : Une manifestation où le souci d’attiser la curiosité du public et lui faire découvrir des créations sortant des sentiers battus est sans conteste un gage de qualité. En plus, City Sonic est une manifestation à visage humain ; il y a perpétuellement la volonté d’éduquer les plus jeunes via des rencontres et des échanges entre eux et les artistes. C’est d’un niveau de qualité vraiment élevé mais ce n’est jamais prétentieux. Je pense que nous partageons l’objectif d’effacer les préjugés qui pèsent sur l’art contemporain en général et le sortir des chapelles cloisonnées dans lequel il se retrouve souvent.
En ce qui oncerne des arts sonores actuels, je reste les oreilles et la sensibilité grandes ouvertes, et applaudit des dix mains City Sonic qui s’évertue à lui offrir plus de reconnaissance sur le plan national, européen et international. C’est très très positif !
Propos recueillis par Eloïse Bouteiller et Emilien Baudelot
Transcultures – septembre 2015