Créateur sonore et multimédiatique d’origine française, basé à Mons où il a fait ses études à l’Ecole d’Arts Visuels, Stéphane Kozik est membre fondateur du collectif Livescape repéré d’abord à City Sonic puis dans d’autres festivals internationaux. Il travaille généralement sur des installations interactives, performances audiovisuelles et musicales.
Depuis 2009, Transcultures, Centre des cultures numériques et sonores en partenariat avec l’école d’art supérieur Arts2 (Mons) a lancé le programme d’échange « Émergences Sonores et numériques » dont Stéphane Kozik est un coordinateur régulier. Ces workshops qui ont lieu chaque année, une semaine fin janvier et une autre début juillet, ont pour but d’initier les étudiants aux différentes pratiques sonores et numériques et ce à partir de leurs projets.
Les plus convaincants sont ensuite présentés une première fois lors du festival City Sonic à Mons et plusieurs ont été diffusés ensuite par Transcultures dans différents lieux et événements culturels en Belgique et à l’international.
Workshop Écouter l’espace scénique, étudiants en action, rue de Mons
Depuis 2013, la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de l’Université de Mons, l’Académie Royale des Beaux Arts de Bruxelles et Transcultures ont lancé, dans le cadre des Emergences sonores (qui proposent également d’autres partenariats avec d’autres écoles d’art), le projet Ecouter le lieu scénique croisant les dimensions son, mouvement et urbanisme.
L’architecture comme la danse travaille l’espace ; l’un met en place des composantes statiques, l’autre permet de centrer la lecture spatiale par le mouvement induisant un rapport d’échelle du corps à son contexte.
Capter le son d’un lieu en traduisant ses spécificités par le geste, tel est le nouveau défi de cet exercice interdisciplinaire où des architectes, des danseurs, des artistes sonores et des plasticiens croisent leurs pratiques. Après une première expérience menée à Bruxelles en 2014 (en collaboration également avec Enzo Pezzela, chorégraphe et coordinateur à l’ESBA), Stéphane Kozik, Hayo David, (danseur, notamment pour Frédéric Flamand) et chorégraphe ainsi que Lydia Bollen, architecte, professeur à la Faculté d’architecture et d’urbanisme de l’UMons et à l’Académie des Beaux- Arts de Bruxelles, ont encadré, en lien avec Philippe Franck (directeur de Transcultures), un deuxième workshop audio-kinetico-urbains à Mons en mars 2015, qui donne lieu, dans City Sonic@Mons2015, à un parcours sonore partant de la médiathèque de Mons et passant dans divers lieux autour de la Grand’Place.
Interview croisé de Stéphane Kozik, Lydia Bollen et Hayo David
Comment s’est déroulé votre collaboration sur ce workshop ? Comment se déroule-t-il d’un point de vue méthodologique ?
Lydia Bollen : On ne peut pas réellement parler de méthodologie… Plutôt du désir de mettre en commun nos différences, ce qui n’est déjà pas mal. Quoiqu’on dise sur la richesse de la transdisciplinarité, nos parcours nous forgent dans des mécanismes et des références spécifiques. Bien sur celles–ci se croisent, mais dans une collaboration entre initiateurs de projets d’horizons différents, cela grince, et tant mieux…
Il ne faut pas avoir peur de rentrer dans le domaine de l’autre il faut toujours privilégier le fait de devoir arriver à un résultat qui inclu nos réflexions et surtout les initiatives créatives des étudiants ! C’est peut-être cela la méthodologie : motiver une dynamique de création sans direction préétablie, sans hiérarchie. Le son a fonctionné comme un élément rassemblant, unificateur.
Ces regards croisés nous ont ouverts vers de nouvelles formulations de l’expérience spatiale. L’espace n’est pas une image que l’on conçoit sur ordinateur, il est plus complexe dans son vécu. Se focaliser sur le son et la danse dans un lieu permet d’appréhender de nouvelles grilles de lecture spatiale.
Workshop Écouter l’espace scénique, étudiants en action, rue de Mons
Pendant une semaine, les étudiants ont concentré leurs investigations sur le centre-ville de Mons, prenant en compte essentiellement les zones accessibles aux piétons. Leurs recherches les ont menés à la création d’un parcours sonore mettant en scène le corps, interprétant des sons d’une manière chorégraphiée dans l’espace urbain. Quelle démarche cela engendre-t-il ? Comment chorégraphie-t-on un son ?
Lydia Bollen et Hayo David : Le parcours sonore présenté est une composition de sons qui découle des mouvements. Par exemple, en changeant le rythme du mouvement, le son du corps dans un lieu fluctue dans l’espace. Ou bien en interagissant avec l’architecture, pour générer la formation de son.
C’est la recherche du son qui donne le mouvement, et non le son qui invite au mouvement, comme c’est le cas lorsqu’on chorégraphie une danse sur un répertoire sonore préétabli.
Si la liaison architecture et danse peut paraitre évidente, en ce sens où l’architecture est mouvement, le maillage architecture et son l’est peut être moins. Comment expliquer cela ? Faut il remettre le son et ses problématiques, au centre de la pensée architecturale (et/ou vice versa) ?
Lydia Bollen et Hayo David : Le son comme la musique est unificateur, c’est une forme de langage universel. Le son et le mouvement existent par le déplacement dans l’espace.
Dans le workshop, nous avons abordé la notion de « lieu », qui apporte plus de nuances dans sa complexité que si nous parlions d’architecture. Nous avons débuté le travail avec une déambulation par couple dans l’espace public : un étudiant avec les yeux bandés, l’autre étant garant de sa protection, mais c’était bien le non voyant qui restait initiateur du parcours.
S’aventurer dans un vide visuel ou le son et les textures servent de guide est une manière très simple de prendre conscience des sons et de leurs impacts. Nous avons pu observer à quel point l’écoute de la ville nous informe sur ses spécificités.
Pavillon Philips Le Corbusier et Iannis Xenakis, exposition universelle de Bruxelles 1958
Mais l’écoute du son est tellement intégré dans notre vécu qu’il est parfois difficile de trouver les mots pour le décrire ; c’est identique lorsqu’on s’interroge sur les couleurs. Nous vivons constamment dans le son et les couleurs mais les décrire, les différencier, n’est pas commun. Décortiquer le son et comprendre ses composants, les nommer et chercher à les reproduire est un apprentissage très riche pour des étudiants qui travaille l’espace.
Le croisement entre architecture et danse ne se fait pas de prime abord, pourtant ce sont deux domaines travaillant la même matière : l’espace. Comment envisage-t-on un tel maillage ? Qu’est ce que cela apporte aux étudiants dans leur cursus ?
Hayo David : « Des Bâtiments et des espaces construits nous excitent, nous ennuient, nous interpellent ou nous calment parce qu’ils correspondent à nos sensations corporelles, cela veut dire nos idées du corps, de sa silhouette et des mouvements possibles. Une œuvre d’architecture est spontanément perçue comme ressemblant au monde intérieur du corps et au monde extérieur environnemental. Les principes régulateurs du corps, son rythme, sa forme et surtout son répertoire de mouvements expressifs constituent un arrière-plan dynamique pour l’expérience de l’architecture…. ».
Cette citation de Wolfgang Meisenheimer explique bien le lien naturel entre architecture et corps. L’un ne peut pas exister sans l’autre. Des objets construits nous font agir. Le mouvement corporel perceptif est une forme de savoir primordial, tous nos sens y participent. Le simple fait de se rendre compte de cette recherche spatio-temporelle, que notre corps met en place à tout moment, et de vivre cela consciemment, ouvre la porte vers un jeu de mouvements improvisés basés sur un imaginaire spatial qui donne naissance à des architectures éphémères construites avec des corps en mouvement.
Ceci peut se vivre dans des espaces publics comme pendant le workshop à Mons, ou dans des espaces intérieurs comme pendant la première expérience à Bruxelles. Le fait de mélanger les étudiants dans un même groupe et de les laisser travailler sur les mêmes matières avec le même outil engendre tout naturellement un échange de savoir et des méthodes de travail, et ouvre la voie vers des nouveaux points de vue et idées.
Comment les participants ont-ils réagi à ce workshop ?
Lydia Bollen : Les étudiants se sont montrés réceptifs et enthousiastes, nous pensons qu’il y a eu de bons échanges entre eux. Certains étudiants reviennent vers nous pour en reparler, un étudiant de la FA+U a consacré son mémoire de fin d’étude à l’analyse du son dans différentes structures urbaines.
Workshop Écouter l’espace scénique, étudiante en écoute
Que vous apporte, en tant qu’artiste, ces workshops « Emergences sonores et numériques », organisés maintenant depuis plusieurs années par Transcultures en partenariat avec d’autres écoles d’art dans votre approche créative personnelle?
Stéphane Kozik : Alors je dirais d’abord, que ces workshops m’ont permis d’aiguiser mon regard sur des intentions artistiques, et les choix à faire pour arriver à composer ressenti. Ce qui m’a permit par la suite de mieux orienter ma propre démarche. A force de voir des projets, je suis plus rapide dans mes choix et donc cela à développé chez moi une certaine efficacité tout en gardant de la spontanéité.
Ensuite il me semble qu’à force de devoir résoudre des problématiques qui ne sont pas les miennes (au départ), j’ai acquis une certaine expérience dans de nombreux domaines, ce qui est un atout pour un artiste pluridisciplinaire. J’ai du faire pas mal de recherches pour comprendre lesquelles pouvaient être les solutions. De fait, cela m’a ouvert des portes.
Les arts sonores ont traité la thématique spatiale de biens des manières : notamment avec la spatialisation et le courant de la musique acousmatique, ou encore avec les « field recording » et la création de l’écologie sonore. Quels sont, selon vous, les enjeux (et difficultés) principaux du traitement du son dans l’espace public ? Quelle approche artistique privilégiez-vous ?
Stéphane Kozik : J’aime dans mes réalisations utiliser l’espace réel, pour le transformer et le restituer d’une autre manière. J’aime utiliser l’espace, la matière, pour les faire résonner, les mettre en scène, en musique pour y apporter un autre regard, une autre lecture.
Utiliser le parcours sonore à partir de Field Recording, fut un nouveau challenge et une nouvelle expérience pour moi. Difficile de s’inscrire dans une longue lignée d’artistes et de travaux sur ces thématiques.
J’ai essayé de partager ma démarche artistique avec les étudiants, Hayo et Lydia. Simplement, ils ont apporté un regard personnel sur chaque lieu ; c’est à dire en essayant de révéler le potentiel musical, harmonique, acoustique, dramaturgique de ces lieux par le son, le mouvement et la musique. Le lieu devient un instrument musical, sculptural, un moyen d’expression pour le corps…
Le workshop posait le corps dans son rapport au son comme problématique principale. Quelle place faites-vous au corps dans votre travail artistique (je pense notamment à votre performance en collaboration avec deux danseuses hongroises Bodyscape présentée, entre autre, lors du projet européen Park in progress, à Mons et dans d’autres villes, en 2013) ?
Stéphane Kozik : Notre corps et la matière en général sont les moyens par lesquels le son se manifeste, se déplace, existe… Sans corps, sans matière, il n’y a pas de vibration, pas de résonance pas de son… De fait, il me semble, que si on approfondit la question du son, on ne peut exclure le corps.
La performance Bodyscape traite du corps en général, par rapport au son, bien sûr, mais également sous des angles et champs différents, que ce soit d’un point de vue évolutionnaire (Darwinien), sociétal, philosophique ou encore dans sa représentation artistique…
Mais pour en revenir à la question : je me questionne beaucoup sur nos manières occidentales et contemporaines d’aborder le corps et la musique.
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Vous avez participé à plusieurs éditions de City Sonic avec différentes installations et performances. Qu’est ce qui fait, selon vous, l’originalité de cet évènement ?
Stéphane Kozik : Ce festival est en Belgique, mais surtout dans la région, totalement unique. Le fait que le son soit l’objet principal est assez unique et rare. L’on se rend compte grâce à ce genre d’événements de la richesse et du foisonnement de pratiques artistiques qu’il peut y avoir autour du son. Tant d’approches et de manières différentes, liées à tant de domaines différents.
Mais ce qui me semble être la grande force de ce festival, c’est d’essayer d’avoir un panel large de point de vue d’œuvres et d’horizons différents. On y croise beaucoup de jeunes créateurs exposés à coté de pointures dans le domaine. C’est un festival convivial, avec toujours de bonnes rencontres et vibrations.
Eloïse Bouteiller
Transcultures 08-2015
merci à desartsonnants pour
la photo de couverture