City Sonic, un festival et une présence tout au long de l'année
Outre le temps du festival, la plateforme City Sonic pour les arts sonores offre aujourd’hui pour les amoureux du son, un contenu Web riche et actualisé, et multiplie également les partenariats « physiques » tout au long de l’année.
Ces derniers mois notamment, avec Ars Musica, festival de musiques contemporaines ouvertes dirigé par le compositeur/producteur/journaliste Bruno Letort, qui a invité City Sonic à présenter, en décembre 2014, à la Raffinerie Bruxelles (lieu mythique dotée d’une très belle architecture industrielle pour les avant-gardes en tout genre, depuis le début des années 80, anciennement appelé « Plan K » et qui abrite aujourd’hui le centre chorégraphique Charleroi/Danses), une sélection d’installations in situ (:such:, Gauthier Keyaerts, VOID, Isa Belle+Paradise Now, Julien Sirjacq…). Dans le même cadre, City Sonic a participé à une soirée de Présences Electroniques-Bruxelles (avec le concert de Supernova : duo post pop que initié par Philippe Franck, directeur de Transcultures et du Festival City Sonic, et Gauthier Keyaerts).
Cette collaboration avec Ars Musica, qui comprend également l’organisation d’une série d’ateliers Sonic Kids (comme en mai et juin 2015, aux Brigitinnes), va se développer pour la prochaine édition de la biennale en 2016 (dont le thème sera le Japon) avec également une exposition City Sonic envisagée aux Halles de Schaerbeek.
Cet été, dans le cadre des City Sonic Summer Sessions (CS3), la plateforme a également soutenu les résidences live et le programme proposé par les alter musiciens/organisateurs Pierre-Jean Vranken (initiateur du collectif frondeur NBT), Maurice Charles JJ, Matthieu Safatly et Piet Kanigou… avec des performances tous les jeudi et vendredi soir, dans un espace mis à disposition par Recyclart. Se sont retrouvés des artistes audio et chercheurs issus d’horizons différents dont plusieurs (notamment le saxophoniste anglais Tom Jackson, les K7 artistes français Emmanuel Rébus et Anton Mobin…) participeront à l’événement de clôture de City Sonic 2015 : OMFI (One moment free improv), coordonné par Matthieu Safatly et Maurice Charles JJ.
Une exposition sur l’art de la cassette audio (initiée lors de ces CS3), sera aussi présentée, en version augmentée, dans cette édition du festival et prendra place dans la galerie de la médiathèque de Mons (avec des archives privées des années 80 jusqu’aux objets « street tape » de l’artiste bruxellois Thomas Dawamesk et aux « Found tapes », cassettes trouvées dans la rue prises en photo et mises en écoute par le compositeur/performer néerlandais Harold Schellinx). Cette exposition donnera lieu à une édition K7 sur le label associé Transonic (+download digital), ainsi qu’une deuxième édition K7 audio avec le String Quartet With Windows Open de Harold Schellinx : 24 heures continues expérimentées lors des CS3, résumées en une.
City Sonic a également développé ses collaborations belgo-québécoises avec Rhizome à Québec où Philippe Franck est parti en tournée en mai avec Werner Moron et Isa Belle pour des performances d’un nouveau combo audio-poétique : « Les ours bipolaires » ainsi que d’autres collaborations transatlantiques (avec Simon Dumas, directeur de Rhizome, auteur et « metteur en semble » intermédiatique, la chorégraphe montréalaise Manon Oligny, pour travailler sur la performance interdisciplinaire Prototype#1, également avec la participation de l’artiste visuel Thomas Israël et de l’auteur Martine Delvaux).
Sans oublier le documentaire Bernard Heidsieck, la poésie en action – de Anne-Laure Chamboissier & Philippe Franck en collaboration avec Gilles Coudert (producteur délégué). Le film a donné lieu à un coffret DVD avec un livre chez Après Production (avec le soutien du CNAP) et il a été présenté dans de nombreux lieux : de la FIAC à Paris au Lieu à Québec en passant par la Kunsthalle de Mulhouse ou encore le Wiels à Bruxelles ; et le livre City Sonic, les arts sonores dans la cité, sorti début 2015 aux éditions La Lettre Volée coordonné par Philippe Franck et qui réuni toutes une série de textes originaux et de définitions des arts sonores d’artistes ayant participé à City Sonic, ainsi que la présentation de nombreuses œuvres exposées dans le festival depuis sa création en 2003.
Tous ces ponts (ainsi que d’autres sont aussi jetés en Belgique et à l’international) ouvrent à de multiples créations et croisements qui nourrissent également le festival, son équipe, les projets et les artistes soutenus.
Interview de Philippe Franck
Quelles sont les particularités de cette édition 2015 ?
Philippe Franck : Cette treizième édition prend place dans le programme très chargé de Mons2015, Capitale européenne de la culture. C’est sans conteste notre partenariat le plus fort et ce à plusieurs niveaux. Il fallait à la fois pouvoir s’intégrer et se démarquer. Nous n’avions ni les moyens ni l’envie de jouer la surenchère avec d’autres événements, mais par contre, il fallait aussi s’étendre avec une certaine masse critique tout en gardant la proximité et la convivialité qui font partie de l’ambiance City Sonic. Nous avons donc cherché d’autres lieux dans ce centre ville où la plupart des lieux habituels étaient pris par d’autres manifestations.
Seule la Salle Saint-Georges sur la Grand’Place, lieu habituel du festival, est restée. De là partiront les quatre parcours qui composent le grand itinéraire de ce copieux City Sonic 2015 :
Ces parcours -disons thématiques- au sein du grand itinéraire, que l’on peut bien sûr choisir de parcourir sans subdivision, sont une nouveauté.
Je suis également heureux que les ateliers se renforcent et diversifient dans le festival avec :
- trois Sonic Kids (Isa Belle et l’initation aux vibrations multisensorielles, Jason Van Gulick ou l’art de la résonance percussive et Myriam Pruvot avec ses Radio Sapiens)
- du Circuit bending au HackerLab et des vélos customisés en machines sonores au Family Lab de Café Europa, le lieu de connexions numériques de Mons2015 avec lequel nous nourrissons plusieurs partenariats ces prochains mois.
L’introduction dans les événements qui ponctuent le festival, des musiques improvisées, elles aussi envisagées sous forme déambulatoire et urbaine, avec l’événement collectif OMFI-One Moment Free Improv, qui clôturent le festival le 27 septembre avec une dizaine d’interventions de musiciens « trans genres » (du jazz contemporain au contempo ouvert en passant par la low fi et des bidouilleurs de vieilles machines inspirantes comme le dictaphone ou les radios vintage).
Pour cette treizième mouture, nous sommes aussi heureux de reprendre une collaboration avec La Semaine du Son à Bruxelles (du 14 au 19 septembre 2015) à laquelle nous avions participé dès sa première édition en 2011. Nous y présenterons l’installation Silence is more du collectif VOID, créée à City Sonic en 2013, ainsi qu’une sélection audio-vidéo avec des artistes soutenus par le festival.
Et pour les partenariats internationaux, outre celui inauguré avec le Digital Art Festival de Taipei, nous inaugurons aussi un échange avec Césaré, centre de production musicale à Reims, producteur de Apertures, installation de Mathieu Chamagne qui sera à Mons dans City Sonic. Nous serons également impliqué dans le festival Elektricity qui s’y déroule en septembre : ce dernier accueillant une installation scénographique faite entièrement d’enregistreurs et de bandes magnétiques de :such: (alias Marc Parazon), qui avait inauguré ce processus à déclinaison contextuelle à City Sonic en 2013.
Quelle est la notion des arts sonores que Transcultures soutien au travers du festival City Sonic et comment a-t-elle évolué au cours de ces 12 dernières éditions ?
Philippe Franck : C’est une vision à la fois ouverte et aventureuse de la création sonore (souvent aussi par le biais interdisciplinaire), sans chapelle, tourné à la fois vers le contemporain dans sa grande diversité et rappelant, à chaque fois que c’est possible, les grandes avancées des pionniers qui ont encore une validité et inspirent les jeunes générations (pour lesquels nous tentons de faire aussi émulation).
D’une certaine manière, cette approche est plus que jamais celle du festival qui n’a pas cédé, je pense, aux modes, aux conformismes (mais n’est-ce pas souvent la même chose ?) ou encore aux impératifs de l’hyper spectaculaire de notre époque (nous avons d’ailleurs demandé pour cette année à Charles Pennequin des textes qu’il a écrit et performé autour de la notion de spectacle, de public et de créateur que nous présenterons sous forme d’installation audio-vidéo) sans pour autant se complaire dans des plaisirs trop solitaires.
Donc plus que jamais, City Sonic, c’est le son comme trait d’union différencié entre des pratiques, des esthétiques, des publics, des sites et des créateurs.
Comment présenteriez vous les différences caractéristiques entre les arts sonores et la musique, entre un artiste sonore et un musicien ? En quoi cela est-il im/pertinent ?
Philippe Franck : Dans le livre « City Sonic, les arts sonores dans la cité » que j’ai dirigé, se trouvent, outre les essais d’auteurs proches du festival et de moi même, des dizaines de définitions de ou des arts sonores recueillies auprès de participants (du pétulant maximaliste nord-américain Charlemagne Palestine au posé Dominique Petitgand en passant par le défunt poète-actionniste Bernard Heidsieck ou encore par un autre pionnier de l’art de l’écoute –celui là belge – Baudouin Oosterlynck) aux douze premières éditions du festival. Elles sont toutes différentes car chacun part de sa pratique de son expérience et Eric Therer (co-fondateur d’Ordinaire, auteur, performer et critique chez Rif Raf) a raison de souligner qu’il s’agit d’un art « polymorphe, polygame, protéiforme ».
Il y a donc un côté englobant –et en ce qui nous concerne, nous excluons tout autant un éventuel rejet des musiques agencées (Luc Ferrari était par exemple tout autant un compositeur qu’un grand artiste sonore, de même pour Giacinto Scelsi, John Cage ou encore chez nous, Leo Kupper que les jeunes générations re-découvrent avec bonheur), que les définitions et attitudes excluantes d’un hypothétique « genre sonore » fermé sur lui même –qui peut sembler, à certains encapsuleurs, flou mais celui-ci permet aussi une grande liberté qui depuis une trentaine d’années que je m’y intéresse, continue de me titiller et me motiver.
En cela, j’aime particulièrement le mot « sonic » qui n’existe pas vraiment en français, car il peut aussi être interprété comme un lien dynamique entre le son et le musique.
Quel est l’apport du festival à Transcultures comme Centre des Cultures Numériques ?
Philippe Franck : City Sonic est sans doute, à ce jour, l’événement le plus remarqué de Transcultures qui en est l’initiateur, le moteur, l’organisateur et le producteur délégué. En tant que Centre des cultures numériques (et sonores), Transcultures défend une vision ouverte et résolument transversale des arts et cultures numériques. Celle-ci est aussi concrètement présente dans City Sonic dont une partie, de plus en plus importante, de la programmation peut rejoindre cette appellation.
On peut remarquer que cette année, les installations produites dans le programme « Emergences numériques » (pour cette sélection 2015, de talentueux étudiants belges d’Arts2 et français de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de Valenciennes) qui sont diffusées après deux workshops d’une semaine et un accompagnement technique et critique à l’année, dans le festival, sont toutes « numériques ». Et puis en sens inverse, la dynamique de rencontre et force d’attraction que génère City Sonic, apporte un vivier d’artistes belges et internationaux renouvelé ainsi que des possibilités au Centre des arts numériques que nous sommes, pour développer d’autres projets annexes et connexes.
Chez Transcultures, comme dans City Sonic, les chemins ne sont jamais rectilignes et se croisent volontiers, non pas pour se dupliquer mais pour mieux se développer et s’enrichir de leurs différences artistiquement contagieuses.
Comment se passe la sélection des artistes ? comment les artistes peuvent-ils se produire dans le festival ?
Philippe Franck : La programmation est un mélange de rencontres, d’opportunités (définies aussi par les lieux possibles qui changent chaque année), de vibrations singulières qui viennent à moi et à mon équipe et surtout de découvertes que nous allons chercher. Il y a bien sûr – et c’est heureux pour un centre de production et de diffusion artistique – des fidélités artistiques mais aussi de très nombreuses surprises.
Il n’y a, jusqu’à aujourd’hui, pas eu d’appel à projets, sinon pour des programmes spécifiques, européens notamment, comme ce fut le cas encore l’année passée pour Park in progress (résidences de création in situ de jeunes artistes dans des espaces verts, une manifestation itinérante initiée par les Pépinières européennes pour jeunes artistes, qui nous a mené aussi en Espagne, Hongrie, Grande-Bretagne, France, au Luxembourg et à Chypre) et Espace(s) Son(s) Hainaut(s) (plate-forme transfrontalière pour les musiques – et au-delà les créations sonores- innovantes initiées par Art Zoyd, le Phénix de Valenciennes et le manège.mons avec Transcultures et City Sonic comme vitrine récurrente). Ces appels à projet donnent toujours lieu à de belles découvertes et régénèrent aussi la programmation et les synergies. Afin de continuer à développer cette dynamique d’ouverture, l’édition 2016 verra certainement naître un appel à projets pour de futurs City Sonic Awards… Restez connectés à nos réseaux sociaux, nos news ou notre newsletter, des nouvelles devraient arriver dès les premiers mois de l’année.
A la suite de cette édition spéciale, comment envisagez-vous le futur du festival ?
Philippe Franck : Après cet opus Mons2015, et les deux éditions focus « émergences sonores » (liées aux projets européens Park in progress et Espace(s) Son(s) Hainaut(s)), il faudra sans doute encore repenser le déploiement de City Sonic. Les complicités internationales vont sans doute s’intensifier (nous participerons sans doute à la prochaine édition des Bains Numériques du Centre des Arts d’Enghien en mai 2016 et développerons des collaborations au sein du RAN- Réseau des Arts Numériques initié par le Centre des Arts d’Enghien-les-Bains et dont Transcultures est co-fondateur, une porte s’ouvre notamment vers Auckland (Nouvelle-Zélande) et son Université des Technologies et nous avons commencé ces derniers mois des collaborations arts sonores et numériques avec Pilsen, également capitale culturelle et la Faculté d’Art et de Design de l’Université de Bohême Occidentale est désireuse de les intensifier en 2016, enfin, nous aimerions aussi continuer à pouvoir accueillir des artistes en résidence, car la demande est de plus en plus importante, mais cela pose à nouveau la question de la localisation (et des moyens structurelles et infrastructurelles) qui peut et doit complété un nomadisme inhérent à la démarche de Transcultures et de City Sonic.
Depuis la création du festival en 2003 et malgré sa reconnaissance, pour son « originalité » et sa qualité, à l’international et de plus en plus en Fédération Wallonie-Bruxelles, rien n’a jamais été acquis ; il faut pour continuer à avancer sereinement, à défricher, à soutenir les audio altérités… aussi pouvoir s’appuyer sur des fondations solides, ce qui en ces temps de crise est un véritable challenge.
Propos recueillis par Jacques Urbanska