Jason Van Gulick, batteur solitaire : Du son à l’architecture et vice versa

Jason Van Gulick, batteur solitaire : Du son à l’architecture et vice versa
20 septembre 2015 City Sonic

Jason Van Gulick, batteur et percussionniste français basé en Fédération Wallonie-Bruxelles, travaille depuis plusieurs années à des projets en solo.

Issu du hardcore, du rock extrême et du post-métal, il transite par l’improvisation et trouve ses marques dans l’expérimentation électro-acoustique, se laissant aujourd’hui influencer par la musique contemporaine. Il explore les capacités du son des percussions et leurs facultés de propagation dans l’espace. Il a participé à une multitude de projets et de collaboration où il a affiné son expérience comme musicien de scène et affirmé ses qualités de compositeur.

Avec son projet, « Résonance Architecturale », performance contextuelle qu’il a développé dans plusieurs lieux en France et en Belgique et qu’il a proposé à City Sonic @Mons 2015 en ouverture de cette treizième édition, il fait le trait d’union entre sa recherche sonore et son passé d’étudiant en architecture en choisissant des lieux présentant des qualités architecturales et sonores spécifiques.

Ta carrière a commencé en tant que batteur dans des groupes, pour ensuite se tourner vers le domaine des arts sonores, comment cela s’est-il mit en place ?

Jason Van Gulick : Effectivement, j’ai joué pendant une quinzaine d’année dans des groupes et projets assez éclectiques. Suite à de nombreuses déceptions et un sentiment de frustration grandissant, j’ai décidé de développer mon projet solo à partir de 2009, sans réellement savoir la direction que cela allait prendre. J’en suis venu à l’art sonore presque par hasard. Au fur et à mesure que le projet évoluait et mûrissait, ma musique déviait vers l’expérimentation sonore acoustique et électro-acoustique. Ce parcours s’est construit naturellement, instinctivement, sans penser à correspondre à ce genre de production artistique mais plutôt dans l’idée de me laisser porter par mes envies et mes besoins.

Unground Live Jason Van Gulick

Comment es tu passé de l’architecture, domaine dans lequel tu as fait tes études, au domaine des arts sonores ? Qu’est-ce qui t’as attiré dans ce vaste champ d’expression ?

Jason Van Gulick : Mes études en architecture se sont déroulées entre 1995 et 2000. Je les ai arrêté car elles étaient trop prenantes et ne me laisser plus le temps de faire autre chose. Et surtout je n’arrivais pas à me projeter comme architecte travaillant dans un cabinet… C’est à partir de ce moment que j’ai décidé de me consacrer à la musique.

 

 

Il y a donc eu une longue période entre mon apprentissage en architecture et ce que je produis aujourd’hui. Mais c’est mon travail en art sonore qui m’a permis, d’une certaine façon, de réunir mon intérêt toujours présent pour l’architecture ainsi que ces différentes disciplines et ma pratique musicale. Mon projet « Résonance Architecturale » est né de cette envie : faire dialoguer ces 2 éléments qui m’ont construit et continue à me faire avancer.

J’ai trouvé dans l’art sonore, ainsi que dans l’improvisation et l’expérimentation sonore une façon de laisser ma création et mes envies musicales aboutir, sans limite ni barrière. Une véritable liberté et même libération pour un batteur, à qui on a demande généralement de juste garder le tempo.

Quelles sont tes influences sonores et musicales ?

Jason Van Gulick : Mes influences sont assez larges. Je viens du rock et des musiques extrêmes. Mais j’ai toujours écouter et évoluer en parallèle dans différents styles pour « équilibrer » ma pratique de l’instrument et rester ouvert à d’autres influences.

Quel a été ta première expérience en tant qu’artiste sonore/musicien ?

Jason Van Gulick : C’est à mon arrivé à Lille en 2001 que j’ai eu mes premiers contacts avec la musique improvisée et expérimentale par le biais de concerts à la Malterie, lieu atypique et réputé, toujours en activité. De ce fait je me suis mis à la pratiquer de plus plus et à multiplier les projets. Je désirais trouver une voix, appréhender et développer autrement ma façon de produire des sons. Cette recherche m’a permis d’outre passer mes racines et mes habitudes de batteur rythmique pour poser les bases de mon jeu actuel.

 

 

Je crois que ma première expérience comme artiste sonore a été la création de mon deuxième projet solo « Tympani« . Lorsque j’ai commencé à le jouer dans des lieux atypiques avec des réverbérations naturelles, je me suis rendu compte que ce projet correspondait à autre chose et qu’il y avait là une voie à suivre. Je n’étais plus dans le solo de percussion, plus du tout dans l’énergie rock que je mettais encore dans mon solo à la batterie mais vraiment dans la production de matière sonore.

C’est à partir de ce moment que je me suis rendu compte que j’étais capable d’aborder cette discipline sans avoir à rougir ou me justifier de mon passif de rocker et j’ai décidé de dévier dans la création sonore dans le cadre de mes projets solo plus consciemment.

Jason Van Gulick - Tympani

Tu as déjà participé à ce Festival international des arts sonores, notamment en 2014 dans le cadre des résidences du projet européen Park In Progress associé à cette précédente édition, pour une création performative sur le site des anciens Abattoirs avec la performeuse française Anna Gaïotti, qu’est ce que cela t’as apporté ?

Jason Van Gulick : Dans un premier temps la possibilité de me produire dans un festival reconnu internationalement, une belle vitrine pour un « jeune » artiste comme moi. Dans l’enceinte des Abattoirs, en extérieur, il était assez intéressant de sentir comment je pouvais travailler sur la diffusion du son sans avoir l’architecture d’une pièce qui réverbère et agit sur la matière sonore.

Ensuite ce fût la confrontation avec une artiste d’une autre discipline, en l’occurrence Anna Gaïotti, trouver une façon de jouer ensemble, improviser et construire une pièce éphémère en quelques jours.

Je voulais depuis longtemps essayer ce mélange car je pense que ma musique, faite de matière sonore et rythmique, s’y prête. C’est une expérience a renouveler quand l’occasion se présentera.

Parle nous de ton projet Résonance Architecturale dont tu as d’ailleurs également présenté une étape, voici quelques mois, à l’invitation de Transcultures, en lien avec une conférence que tu as donné à la Faculté d’architecture et d’urbanisme de Mons.

Jason Van Gulick : Après m’être produit pendant plusieurs années dans des lieux très différents j’ai commencé à préférer les endroits qui faisait sonner l’instrument, où je pouvais développer des matières grâce à l’acoustique de l’espace, d’où le besoin de faire dialoguer mon instrument et le lieux où je me produisais.

Le lien avec l’architecture et les qualités intrinsèques des espaces où je jouais c’est affiné et imposé à moi. C’est une nouvelle fois presque sans y penser que mon travail à évoluer dans ce sens, pour finalement s’affirmer sur une idée simple et naturelle.

Ce concept est devenu récurrent et essentiel dans mon rapport au son et à mon instrument. Il m’est même assez dur aujourd’hui de penser autrement ce rapport : quand je joue dans d’autres projets ou formations, il me manque souvent cet aspect et j’ai du mal à me laisser sonoriser, car je perds ce rapport à l’acoustique dans ces conditions.

Parle nous de ton projet Résonance Architecturale dont tu as d’ailleurs également présenté une étape, voici quelques mois, à l’invitation de Transcultures, en lien avec une conférence que tu as donné à la Faculté d’architecture et d’urbanisme de Mons.

Jason Van Gulick : Après m’être produit pendant plusieurs années dans des lieux très différents j’ai commencé à préférer les endroits qui faisait sonner l’instrument, où je pouvais développer des matières grâce à l’acoustique de l’espace, d’où le besoin de faire dialoguer mon instrument et le lieux où je me produisais.

Le lien avec l’architecture et les qualités intrinsèques des espaces où je jouais c’est affiné et imposé à moi. C’est une nouvelle fois presque sans y penser que mon travail à évoluer dans ce sens, pour finalement s’affirmer sur une idée simple et naturelle.

Ce concept est devenu récurrent et essentiel dans mon rapport au son et à mon instrument. Il m’est même assez dur aujourd’hui de penser autrement ce rapport : quand je joue dans d’autres projets ou formations, il me manque souvent cet aspect et j’ai du mal à me laisser sonoriser, car je perds ce rapport à l’acoustique dans ces conditions.

Résonance Architecturale est un projet que j’ai depuis longtemps en tête! L’envie de jouer en solo dans des espaces réverbérants et architecturaux vient de la découverte du percussionniste Fritz Hauser dont le premier album Drumming a été enregistré en 1985 dans un bâtiment de Walter Gropius à Berlin (un des fondateurs du Bauhaus). C’est à l’écoute de cet album que l’envie de travailler en solo a germé !

Le son des percussions se réverbérant dans un grand volume et le travail de mise en espace par l’ingénieur du son m’ont influencé pour construire ce projet. J’ai attendu d’être assez mûr et sûr de moi dans ma pratique musicale et reconnu dans le réseaux que j’ai intégré pour pouvoir commencer à le mettre en place.

Fritz Hauser Drum with man

Résonance Architecturale (Extrait) - Charleroi

Les lieux dans lesquels tu te produit dans le cadre du projet Résonance Architecturale ne sont pas choisis au hasard, comment arrêtes-tu tes choix ?

Jason Van Gulick : En effet les lieux sont choisis pour leurs caractéristiques sonores et architecturales. Pour que la pièce composée fonctionne il faut un minimum de six secondes de réverbération et plus il y en a, mieux c’est.

Je joue généralement dans des lieux que beaucoup de musicien fuit! Un aspect important est la possibilité de s’installer le plus au centre possible ou de trouver le point optimal de diffusion et laisser la possibilité au public d’y déambuler, afin d’aller écouter les matières qui se créent à plusieurs endroits. Ces lieux sont en général issue d’un repérage. S’en suit la recherche d’une structure qui pourrait produire la représentation.

Comme à Reims (dont je suis originaire) et sa fameuse halle couverte du Boulingrin -que j’ai connus petit et qui ont été entièrement restauré. Ce magnifique bâtiment m’a vraiment donner envie d’aller m’installer dedans et de jouer. C’est d’ailleurs grâce au centre de création contemporaine Césaré que j’ai réalisé cette prestation.

D’autres lieux me sont proposés par des structures culturelles qui sont intéressées par le projet. Nous travaillons ensemble afin de chercher l’endroit idéal pour le projet, comme ici à Mons à l’église Saint-Elisabeth.

Ces conditions acoustiques exigeantes réduisent les possibilités de diffusion mais il était essentiel pour moi de jouer ce projet dans des lieux adaptés et prêts à recevoir la pièce composée par Maxime Denuc pour cette occasion.

Un espace est-il sonore par définition ou le devient-il, de manière plus sensible, par l’intervention d’un musicien et d’un artiste sonore qui en donne sa lecture subjective ?

Jason Van Gulick : Un espace n’est pas sonore par définition mais peut le devenir lorsqu’un événement ou une action l’anime. Il devient artistiquement sonore par l’intervention d’un musicien et par l’écoute qu’il a dans ce lieux. Il apporte justement cette manière sensible d’entendre et de produire un son et de le donner à écouter. Ce rapport à l’écoute et au public est essentiel dans ce processus.

Cette notion est très importante pour moi, notamment par l’improvisation dans un lieux qui rend la production de son ou de musique unique. L’espace ne va pas forcément « enjoliver » le son mais il donnera un caractère particulier, un résultat et une direction différente à la musique.

 

Comment est né ton nouveau projet 40-208 AD LIBITUM, installation réalisée dans le cadre de cette treizième édition de City Sonic et produite par le festival ? A quelle envie artistique correspond-t-il ?

Jason Van Gulick : Cette installation est d’abord née de la proposition de Philippe Franck (je l’en remercie au passage), j’avais juste effleuré l’idée de produire une création qui ne m’engagerait pas comme musicien live, c’est à dire une production qui vivrait sans moi et serait juste le résultat d’un concept, d’un processus intellectuel et manuel dans sa réalisation.

Pour 40-208 AD LIBITUM, l’idée première était de travailler avec des métronomes mécaniques. J’ai mis longtemps à être à l’aise avec cet outil et je me suis battu avec lui pendant de longues heures. J’ai voulu, dans ce projet, le détourner de sa fonction de mesure, lui donner une dimension musicale par l’accumulation des éléments et leur libre réverbération dans l’espace.

Il était aussi important de continuer à travailler sur ce rapport au son acoustique et à une amplification sans aide électronique ou électrique.

Les métronomes sont encastrés dans des caisses de résonance, placées sur des socles ou à même le sol, disséminées dans l’espace à différents tempo. C’est une pièce qui invite à la déambulation et qui prend sa mesure à différents points d’écoutes dans le lieux. Elle invite à chercher les réactions spécifiques du son produit dans l’architecture, à écouter chaque élément dans son ensemble et dans sa singularité.

Eloïse Bouteiller
Transcultures 09-2015